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Les Actes du Colloque E-Pairs Association SMTdu vendredi 14 juin 2013
« La clinique médicale du travail » Contribution de la médecine du travail

THEME N°-1 : Concepts de la Clinique médicale du travail : les mots clés
Alain Carré, Nicolas Sandret, Huguette Martinez

En 1946, pour la première fois, fut inscrit dans la Constitution de la République le droit individuel à la protection de la santé. Pour y concourir, en milieu de travail, s’agissant de santé, fut mis en place une institution « la médecine du travail » exercée par un corps de médecins spécialisés, les médecins du travail, exerçant, comme tout médecin, dans le cadre d’une obligation de moyens. S’agissant d’un droit individuel, le principe fondateur postulait que l’exercice serait un exercice de « première ligne », c'est-à-dire d’un exercice de consultation médicale. La tâche confiée à ces praticiens, à l’origine, et qui n’a pas varié depuis, est une action préventive destinée « à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ».
Ce nouvel exercice tranche notablement avec l’exercice de la médecine de soin :

• Elle se déploie dans un cadre légal d’ordre public social qui impose par conséquent un double contrôle de l’autorité publique et des représentants des travailleurs qui en bénéficient, mais aussi des liens avec la santé publique.
• Cet exercice se situe, contrairement aux autres modes d’exercice médicaux, dans un lieu, l’entreprise, et un contexte, le travail, où la santé n’est pas une valeur « en soi ».
• C’est enfin une médecine préventive, spécialisée en prévention primaire, puisqu’il s’agit, en premier lieu d’éviter toute altération de la santé et non seulement toute atteinte à la santé. Cela implique une prise en compte de la subjectivité du travailleur dans un champ mal balisé par la séméiologie médicale classique. L’élément pathogène est à identifier dans le travail de chaque travailleur. Il s’agit ici du travail concret de chaque travailleur, c’est-à-dire du travail réel incarné et subjectif du travailleur, en interaction avec les conditions matérielles et humaines qui l’entourent

Ce contexte d'exercice des médecins du travail leur a imposé de développer une clinique médicale particulière, la clinique médicale du travail, qui complète et transcende la clinique médicale telle qu’on l’enseigne dans les facultés de médecine.

UNE CLINIQUE MEDICALE DE L’HOMME AU TRAVAIL

Cette clinique doit, pour remplir la mission liée à cet exercice, avoir pour référence « Un modèle de l’homme qui rende compte du travail du point de vue de l’engagement actif du sujet et de ses enjeux de santé [1] ». Confrontés à cette difficulté académique, à partir des années 70, les médecins du travail, en référence aux sciences humaines, élaborent en commun une nouvelle clinique : « la clinique médicale du travail ». Les bases théoriques de cette clinique font donc de fréquents emprunts à l’ergonomie, à la sociologie, à la psychologie et la psychodynamique du travail.

1. La clinique médicale du travail considère le travailleur comme un sujet en relation avec son environnement de travail et sa dimension collective
Pour sortir de l’approche classique et réglementaire qui s’intéressent à la cause des risques mais ignore les réponses activement produites par le travailleur considéré comme passif, les médecins du travail se rapprochent de l’ergonomie qui implique que « Il n’y a pas de travail d’exécution. Tout travail impliqu(ant) une mobilisation de l’intelligence [2]».
Le travail n’est pas solitaire. Il se déroule dans un environnement humain collectif.
Cela impose de prendre en compte la dimension sociale de l’activité de travail.
Ici, « le travail est l’activité coordonnée entre les femmes et les hommes pour faire ce qui n’est pas prévu par l’organisation du travail [1]». Il y a donc un travail prescrit par l’organisation du travail qui procède par instructions pour atteindre une tâche à accomplir et un travail réel déployé par les travailleurs dans un contexte collectif et qui engendre des échanges sur « comment faire » et « comment faire ensemble » afin de parvenir à un résultat faisant l’objet d’un consensus entre eux.

2. La clinique médicale du travail postule que la santé se structure autour du pouvoir d’agir. Elle analyse par conséquent ce qui s’oppose au pouvoir d’agir du sujet
Dans l’esprit de l’article L1111-4 du code de la santé publique, cette clinique considère que « la souffrance est l’amputation du pouvoir d’agir [3]» et « qu’être en bonne santé c’est avoir les moyens d’un cheminement personnel et original vers un état de bien-être physique, mental et social [4]». « La santé est un pouvoir d'action sur soi et sur le monde gagné auprès des autres. Elle se rattache à l’activité vitale d'un sujet, à ce qu'il réussit ou non à mobiliser de son activité à lui dans l'univers des activités d'autrui et, inversement, à ce qu'il parvient ou pas à engager des activités d'autrui dans son monde à lui [5] ».

3. La clinique médicale du travail considère que le sujet construit son identité à travers des activités qui participent de son accomplissement de soi en étroite interaction avec les autres. la Clinique Médicale du Travail intègre cette dimension subjective et vécue de l’activité de travail et explore ses relations.
La réalité mouvante impose de mobiliser d’autres ressources que des savoirs techniques. La relation dynamique aux objets du travail est incorporée. Des savoirs faire acquis d’expériences antérieures sont intégrés dans cette mémoire du corps.
Ne pas pouvoir exprimer ces relations indique une résistance au sens de la psychopathologie du travail.

4. La clinique médicale du travail cherche à comprendre ce qui se joue pour le travailleur dans ce cadre et ce qui s’oppose à son projet
Le travailleur agit sous le regard des autres, avec eux, dans un système de valeurs partagées, en espérant être reconnu et en s’affrontant à la réalité pour atteindre un résultat qui fasse référence. C’est la résistance à cette activité qu’oppose l’organisation du travail et l’impossibilité d’accomplir ce qu’on voudrait faire ou d’aboutir au résultat qui pèse sur la santé du salarié
« Le réel de l’activité c’est aussi ce qui ne se fait pas, ce qu’on ne peut pas faire, ce qu’on cherche à faire sans y parvenir – les échecs -, ce qu’on aurait voulu ou pu faire, ce qu’on pense ou qu’on rêve pouvoir faire ailleurs. Il faut y ajouter – paradoxe fréquent – ce qu’on fait pour ne pas faire ce qui est à faire ou encore ce qu’on fait sans vouloir le faire. Sans compter ce qui est à refaire [5]. »
L’organisation est en désaccord avec le résultat du travail que je cherche à atteindre ou supprime mes marges de manœuvre ou ne me donne pas les moyens nécessaires. Elle isole chaque salarié en l’individualisant ou empêche le travail en commun ou la construction de valeur commune sur le travail et la façon de le faire.
L’organisation est en désaccord avec ce que j’estime être la qualité et le résultat de mon travail ne reconnaît pas ma valeur ou l’utilité de mon travail. L’isolement ne permet plus la reconnaissance symbolique de mon travail

5. La Clinique médicale du travail identifie et prend en compte les défenses du sujet contre sa souffrance
La psychodynamique du travail décrit les processus de pensée inconscients qui permettent au sujet de mettre à distance la souffrance.
Elles les nomment: processus de défense, stratégies défensives, idéologies défensives (déni péjoratif de l’encadrement, faire le Mal pour le Bien…).
Ces processus inconscients comprennent les somatisations.

L’OUVERTURE DE L’ESPACE CLINIQUE : DU SIGNE AU SENS
L’ouverture de l’espace clinique implique un double mouvement qui tranche avec la posture médicale traditionnelle. Il s’agit en effet de « Passer d’une situation où le salarié est en position d’objet d’étude à une perspective dans laquelle il redevient un agent actif de l’analyse, passer des discours généraux à l’analyse des situations dans leurs singularités concrètes [1]»

LA CONSTRUCTION DES HYPOTHESES : DU SENS A LA SIGNIFICATION
Elle implique le déploiement d’une « écoute compréhensive », écoute particulière qui puisse permettre au médecin du travail d’entendre et donc d’identifier difficultés, souffrances, et défenses. Le terme ne fait pas uniquement référence à la compréhension des situations qu’elle permet au médecin. il désigne, en fait, sa finalité principale qui est de permettre au patient d’accéder lui-même à la compréhension des situations auxquelles il est confronté.
Il s’agit par conséquent d’une construction commune. Elle est personnalisée et se fait avec le salarié au regard de ce qu’il déclare de la situation, et de ce qu’il en comprend et fait comprendre au médecin. Elle est conceptualisée, par rapport à ce que le médecin a observé de la situation des autres travailleurs, de l’état des collectifs, de l’organisation du travail dans l’entreprise. Elle est raisonnée, en référence au corpus théoriques de la clinique médicale du travail.
La mise en place un recueil formalisé « au fil de l’eau » des témoignages des salariés sur leur vécu au travail permettra des hypothèses sur le lien Santé-Travail en les analysant. Parallèlement le repérage des risques permettra d’identifier les facteurs de risque liés à l’organisation du travail a priori, les effets de L’organisation du travail sur le travail réel et les comportements managériaux pathogènes.

LE DIAGNOSTIC DU LIEN SANTE-TRAVAIL
Le diagnostic positif repose sur le recueil systématique des indicateurs de santé mentale en rapport avec le travail et peut s’appuyer sur des examens complémentaires de spécialité. Il prendra en compte les altérations « discrètes, paradoxales: (démobilisation professionnelle, hyperactivité) mais aussi les atteintes camouflées (TMS et psychosomatiques).
Le diagnostic étiologique permet de relier les atteintes à la santé au repérage des situations de travail pathogènes. C’est le résultat du travail d’élaboration (« voit on le salarié travailler ? »). Toute identification d’une pathologie doit s’accompagner de la description de ce qui l’influence négativement du côté du travail. La pathologie est alors en rapport avec le travail et reliés à des caractéristiques de l’organisation du travail. Le diagnostic étiologique s’élabore en référence avec la situation des autres travailleurs. Il doit être le plus précis possible pour préparer l’intervention.

LE DIAGNOSTIC DU LIEN « SANTE-TRAVAIL EST SPECIFIQUE A LA CLINIQUE MEDICALE DU TRAVAIL
Diagnostic positif et étiologique de la situation de santé du travailleur et de ses rapports au travail sont issus d’une démarche clinique médicale argumentée qui participe de pratiques professionnelles évaluées collectivement et un préalable à toute action individuelle et/ou collective du médecin du travail.

[1] Philippe Davezies

[2] Alain Wisner

[3] Paul Ricoeur

[4] Christophe Dejours

[5] Yves Clot

 

DEBATS

Q = Question ou réaction des participants
R = Réponse des intervenants ou de l’animateur de la table ronde

R : Tout ce qui vient d’être dit est en contradiction avec ce qui se met en place réglementairement pour notre métier. Cette clinique s’inscrit dans le champ du conflit social. Elle montre la méconnaissance profonde du corps social, de l’ensemble des corps sociaux, sur ce qu’est réellement la santé au travail.

R : Je viens d’apprendre la différence entre atteinte et altération de la santé et c’est important pour ce que je peux écrire dans le dossier médical aujourd’hui. Et pour mon travail de médecin du travail, je prends en compte cette clinique qui se déploie particulièrement dans le champ du conflit social.

Q : Une question technique : le médecin du travail a deux contrôles : un contrôle administratif et un contrôle social des salariés. Pour ce dernier contrôle, je ne vois pas de quoi il s’agit.

R : Le principe en France c’est celui de la médecine libérale : le patient a le choix de son médecin. La médecine du travail est le seul exercice pour laquelle le patient n’a pas le choix de son médecin du fait d’une médecine du travail exercée pour toute une population professionnelle. Si le salarié ne vient pas à la visite, c’est juridiquement une faute potentielle, il peut être sanctionné. C’est un peu choquant. Donc cette obligation a nécessité un contrôle collectif, c'est-à-dire l’accord des représentants des salariés pour l’embauche et le contrôle de l’activité du médecin du travail : c’est « le contrôle social ». Sur les autres sujets dont il traite, le comité d’entreprise ne donne que des avis ; mais ici c’est le seul cas où il donne un accord. C’est essentiel de comprendre que nous travaillons dans un cadre où les salariés ont un droit de regard sur ce que nous faisons. Le contrôle administratif c’est parce que nous sommes dans le cas d’une mission d’ordre public social.

Q : Dans certains cas, j’ai un petit bémol car quand j’écoute le salarié, c’est souvent la porte ouverte à une demande qui relève potentiellement de la manipulation pour obtenir un bénéfice secondaire quand ce salarié vit une situation tendue au travail, quand il y a des malfaçons dans le travail ou quand il se sent coupable de la mauvaise exécution du travail. Ainsi certains salariés viennent chercher un bénéfice secondaire ou une protection en exposant des troubles de santé qui ne sont pas toujours réels et pas toujours fiables.
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R : On dit à un interlocuteur ce qu’on s’attend à ce qu’il entende. On ne dit pas la même chose au médecin du travail qu’à un autre professionnel. Le salarié se place du côté de la douleur, car le médecin traditionnellement en France s’occupe de la douleur. Il faut capter la confiance du salarié pour entendre vraiment ce qu’il veut que l’on entende. Moi ce qui m’intéresse, ce n’est pas pourquoi il vient chercher un bénéfice secondaire, mais c’est pourquoi il me dit çà : il faut essayer de lui permettre de le dire. Pourquoi il a cette attitude vis à vis de moi ? Une des conditions pour déployer la clinique médicale du travail, c’est la confiance entre le salarié et le médecin du travail ; c’est essentiel. Par exemple, un salarié est venu me voir en visite de reprise maladie après une brûlure linéaire de la paume de la main, et il me raconte une histoire qui n’est pas crédible (une histoire de brûlure en faisant la cuisine). Mais il finit par dire qu’il intervenait la nuit en astreinte sur un chantier, c’est un plombier. Il a enlevé ses gants de protection pour faire autre chose, et par la suite, il a pris le tube à pleine main et s’est brûlé au cours de son intervention. Son chef de chantier le menace d’une sanction s’il le déclare en Accident du Travail car il a fait une faute selon lui, car il n’avait pas ses gants. Ce qui est intéressant, c’est d’avoir la confiance du salarié afin qu’il puisse dire çà, pour connaître ses motivations réelles. Il faut accorder la confiance au salarié. Un salarié qui en fait des tonnes, c’est qu’il a envie que l’on fasse quelque chose pour lui. Il faut être franc et essayer de remettre la confiance et essayer plutôt de chercher ce qui ne va pas dans ce travail.

R : J’essaie de remettre la confiance pour avoir la « parole vraie », alors que j’ai l’impression que le salarié fait du cinéma. Quand un salarié en fait des tonnes avec une lombalgie alors que j’ai l’impression que ce n’est pas si grave, c’est qu’il a envie que je fasse quelque chose pour lui. Je discute avec lui pour essayer de rétablir la parole vraie, pour mettre en débat son mal au dos qui n’a pas l’air si terrible que çà et pour savoir ce qui ne va pas dans le travail. Cela me permet d’avoir beaucoup d’informations concrètes, utiles pour la prévention beaucoup plus qu’en argumentant sur son mal au dos.

Q : Comment établir la confiance quand on voit un salarié tous les quatre ans. Le salarié dit qu’il a mal au dos. Le salarié ne sait peut être pas comment verbaliser les problèmes de travail, et le mal au dos c’est souvent plus facile, il ne sait pas toujours verbaliser autrement son mal être.

R : Cette journée, c’est pour affirmer notre spécificité, qui n’est pas compatible actuellement avec le fonctionnement de l’institution médecine du travail !

R : Le problème c’est la peur d’être instrumentalisé. Un exemple : hier, une salariée m’a appelée pour me demander un certificat médical pour ne pas faire une formation, car il s’agit d’une activité sportive et elle a eu une entorse de la cheville. Il s’agit d’une entreprise que je connais bien, je vois les salariés tous les quatre ans. Je venais de faire un certificat médical de contre indication au stage pour son N+1, responsable d’entretien, 59 ans et demi, car il a une pathologie cardiaque et part à la retraite dans quelques mois. Pour la première fois, ces petits chefs d’équipe de 50 ans et plus, sont contraints d’aller à un stage commando sauf certificat médical de contre indication. On leur a demandé leur mensuration. Ils vont avoir un treillis et emmener un maillot de bains. Pour ceux qui sont un peu gros, il est marqué que pour qu’ils ne soient pas en difficultés, ils pourront garder le treillis sur le maillot de bain. Ils ne savent pas ce qu’ils vont faire à ce stage et ceux qui y sont allés n’ont pas le droit de dire ce qu’ils ont fait. Les gens sont dans une angoisse majeure car ils ne savent pas avec qui ils vont faire le stage. Sur les cinq salariés qui devaient participer au stage, elle est terrorisée car elle est la seule à y aller, les autres ayant un certificat médical, et elle va se retrouver avec des collègues qu’elle ne connait pas puisqu’ils sont séparés de leur équipe d’appartenance, et pas avec ses collègues. Pour cette dame, même si elle est un peu enveloppée, ce n’est pas d’être en maillot de bain qui la gêne. L’angoisse pour elle, ce qu’elle trouve odieux dans cette manipulation, cette soumission, c’est de se mettre comme les autres, de se sentir rabaissée comme si elle n’existait pas, comme si son individualité n’existait pas. Je lui ai dit que pour une entorse datant de deux ans, je ne peux pas faire de contre-indication médicale. Mais j’ai contre indiqué le stage pour le fait qu’elle trouvait insupportable de se faire imposer un stage qui n’a aucun sens pour elle pour son travail. Le but du stage c’était selon sa direction, pour souder, pour savoir coacher et manager son équipe, alors que ça fait quinze ans qu’elle fait ce travail !

R : C’est le peu d’importance de la prise en compte de cette maltraitance par rapport à ce que vivent les salariés qui interroge. Alors, on peut décrire de quoi est faite cette maltraitance à un confrère psychiatre, ou relater une réflexion du chef qui passe et dit « vous faites du mauvais travail », ce chef qui le dit peut être de façon plus triviale, mais pourtant cette réflexion va déclencher quelque chose d’extrême important pour le salarié. Et ça, on peut l’expliquer contextuellement, car il existe une subordination salariale. Face à une agression, l’espèce humaine n’a que deux solutions : soit on fuit, soit on s’affronte. Dans le cas de la subordination, on ne peut faire ni l’un ni l’autre ! On est là dans le cas où une situation qui peut paraît extrêmement mince à quelqu’un d’extérieur, prend une importance considérable pour le salarié qui la vit, et engendre chez lui une vraie souffrance.

Q : Certains des cadres de l’hôpital sont dans le paradoxe, du fait que leur équipe manque du personnel. Ils le disent de mille façons, et pourtant quand on essaye de discuter avec eux pour voir ce que l’on peut mettre en place, ils refusent. Ils sont conscients de la souffrance mais sont dans le déni. Ils ont l’injonction, pour des raisons budgétaires, qu’il ne faut pas plus de salariés. Ils refusent de nouveaux salariés, alors qu’ils sont conscients de la souffrance engendrée par l’organisation du travail !

R : C’est « faire le mal pour le bien », c’est ce qui les pousse à rudoyer les salariés pour le bien collectif. C’est un mécanisme de défense. Mais quand le cadre s’aperçoit qu’il fait « le mal pour le mal, » cela devient dangereux pour lui. Il faut essayer de ne pas faire tomber ses défenses par une attitude compréhensive, en lui donnant acte et en donnant des pistes de réflexion pour éviter quelque chose de délétère pour lui.

Q : Juste une petite histoire, quand j’étais médecin généraliste, certains patients me demandaient des arrêts de travail. Je disais que je n’avais pas d’éléments pour mettre un arrêt de travail. Je leur disais que je comprenais que leur souffrance était en lien avec le travail et je leur demandais d’indiquer sur l’arrêt de travail le nombre de jour qu’ils voulaient. La première fois ça passait, la deuxième fois, cela permettait ensuite de discuter de ce qui n’allait pas dans le travail. La mise en confiance et la question de ce qui ne va pas dans le travail est la question essentielle !

Q : La situation des cadres intermédiaires à l’hôpital est très difficile à gérer en médecine de travail, ils savent très bien qu’ils sont dans des injonctions contradictoires car ils doivent appliquer la politique de gestion du personnel décidée par l’entreprise alors que ce qu’on demande aux salariés n’est pas possible. Ils le vivent mal. Avec ces moyens insuffisants, ils sont au courant que les objectifs sont inatteignables, et on manque de moyens pour les aider. Comment devons nous faire pour les accompagner ? L’écoute compréhensive, mais ce n’est pas suffisant !

R : Le médecin du travail peut alors intervenir sur l’autre versant de son activité, c'est-à-dire le versant collectif. L’accumulation des constats devrait amener le médecin du travail à faire une « alerte médicale collective » sur la situation d’injonction paradoxale. On passe de la clinique médicale du travail individuelle à la clinique médicale collective : c’est l’intervention dans le champ social d’un point de vue collectif pour faire changer les éléments pathogènes que l’on a vus dans le travail.

mise à jour 15-Nov-2014