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9eme Colloque E-PAIRS du 9 JUIN 2017

Avec l’association Santé et Médecine du Travail (a-SMT)
et le soutien du SNPST et des Médecins du travail de la CGT.

COMPTE RENDU du COLLOQUE

" La question du travail au cœur de la coopération entre les équipes médicales du travail et la médecine générale"

Plan du Colloque

Introduction

Alain GROSSETETE Secrétaire du Groupe Projet de E-Pairs

Matin

Ière Partie Pratiques cliniques en médecine générale et Expériences de groupes de pairs médecin du travail et infirmier en santé au travail en clinique médicale du travail

Pluralité de situations cliniques nécessitant un travail en coordination. Quelles règles de coopération dans le but d’être utile à la santé du patient ?

Quelle place pour l’analyse du travail et de ses aspects délétères ?

Quelles recherches de synergie des deux filières médecine générale et du travail, avec les autres partenaires de santé, les médecins spécialistes, les consultations de pathologies professionnelles, les médecins conseils et de contrôle ?

Présentations de cas cliniques individuels ou collectifs plus ou moins partagés, ou de carence de coopération ? En quoi l’analyse du travail et de l’engagement du travailleur qui s’y déploie facilite la coopération pour la prévention et les soins.

  • Visite de pré-reprise/ préparation à la reprise après maladie ou accident grave
  • Quelle déclaration en MP et quand, pour des pathologies d’usure professionnelle
  • Arrêt de travail ou non face à un travail délétère qui cherche un appui et soutien médical lorsque sa capacité de prendre soin de sa santé s’épuise
  • Quelles ressources pour pouvoir établir un certificat médical de MP pour un salarié retraité.
  • Urgence psychopathologique du fait ou au travail
  • Quelles coopérations pour le maintien au travail et y construire sa santé


1-Communications 9h45 – 11h : 25 minutes par communications avec questions

Présidente : Madeleine RUHLMANN

1- Marie-Françoise Huez-Robert, Médecin généraliste, Tours

Réflexions à partir de trois cas cliniques de médecine générale sur les conditions de coopération entre médecin généraliste et médecin du travail.

2- Marie Parent, Anne Gavoille, Médecins du travail, Lyon GAPEP

UNE POSTURE D'EQUILIBRISTE ou « Comment un salarié patient impulsif peut interférer, à son corps défendant, dans la relation entre son médecin du travail et son médecin traitant, au détriment de l'équilibre de sa santé »

3- Michele Weber, Médecin du travail, Srasbourg, GAPEP

La coopération entre les équipes médicales du travail et la médecine générale au travers de deux cas clinique vus en GAPEP

Pause

2-Discussion entre pairsDispute/Repères professionnels 11h15 – 12h15

Modérateur -Gérard LUCAS

Après-midi

IIème Partie Règles professionnelles en médecine générale et Expériences de groupes de pairs médecin du travail et infirmier en santé au travail pour construire des Repères de coopération

Quels ressorts pour la coopération entre généralistes et médecins du travail ?

Quels blocages de représentation, de méconnaissance du travail des acteurs du réseau de soins, … y font obstacle ?

Quelle place à l’analyse du travail et des inégalités sociales de santé pour les surmonter ?

Quelle déclinaison et construction des références éthiques et réglementaires de coopération ?

Par qui et comment le milieu de travail peut-il être interpelé ?

  • Comment les questions de santé au travail se posent dans nos pratiques ?
  • Comment se font les contacts entre généralistes et les équipes médicales du travail ?
  • Comment construire la confiance pour coopérer ensemble ?
  • Quelles conditions et modalités d’une coopération dans l’intérêt de la santé des sujets ?

3-Communications 13h45 – 15h ; 25 minutes par communications avec questions
Président : Alain GROSSETETE

4- Marie Kayser, Martine Lalande, Médecins généralistes, Nantes, Paris

Médecins généralistes et équipes médicales du travail : travailler ensemble pour la santé des patient(e)s

5- Jean-Luc Julinet (MDT), Yann Feniou (IDEST) GAPEM Poitou Charentes

A propos d’un exemple de collaboration entre équipe pluridisciplinaire et médecin traitant, réflexion sur le développement possible de ce type d’approche

6-Nathalie Pennequin, Médecin du travail, GAPEP Paris

Coopération entre médecin du travail et médecin généraliste traitant dans le parcours de soin d’un salarié patient présentant un état de stress aigu suite à une agression au travail.

Pause

4-Discussion entre pairs – Dispute/Repères professionnels 15h15 – 16h15
Modérateur – Dominique HUEZ

5-Conclusion du colloque
Mireille CHEVALIER Présidente de E-Pairs

6-Premier retour sur le Colloque E-Pairs 2017 - Et maintenant, comment poursuivre ?
E-Pairs

 



 

COLLOQUE

Introduction au colloque

Alain Grossetête

Le colloque de 2017 de E-Pairs porte sur les pratiques professionnelles de l’équipe médicale de santé au travail (médecin du travail, médecin collaborateur, interne et infirmiers du travail) concernant les coopérations avec les généralistes. Il faut en effet penser la question avec l’arrivée dans les services de santé au travail des infirmières du travail. Quelles pratiques, règles professionnelles, les infirmières vont-elles dégager pour leur part, dans l’équipe médicale en direction des généralistes ? On voit que l’examen des pratiques coopératives avec les généralistes réinterroge aussi les coopérations au sein de l’équipe médicale médecin du travail/infirmières. La présentation de Jean-Luc JULINET et Yann FENIOU en groupe mixte d’analyse des pratiques (GAPEM) introduit la question.

Trois généralistes ont rédigé deux contributions essentielles pour la tenue de ce colloque.
Qu’elle soit constatée en premier chez le généraliste ou au cabinet de médecine du travail, la survenue d’un épisode de crise professionnelle chez un salarié-patient, accompagnée d’une atteinte à sa santé peut initier cette coopération, ou encore lors de toute autre circonstance dans laquelle le travail est concerné. Le plus souvent, l’échange débute par un courrier.

La coopération entre équipe médicale du travail et généralistes est considérée généralement comme délicate. Marie-Françoise HUEZ-ROBERT en donne trois exemples au travers de sa réflexion de généraliste; Michèle WEBER expose deux cas au cabinet de médecine du travail.

Lorsque du côté des médecins du travail, l’approche de la santé au travail est une approche dominante par les risques, aux dépens d’une approche par la clinique, l’investigation du travail du point de vue de la subjectivité du salarié-patient peut être quasi absente. Il n’y a alors guère de place pour le travail clinique. Est-ce là l’héritage d’une pratique encore dominée par la détermination de l’aptitude ? Cette approche loin du travail est un obstacle à la coopération. Au contraire tenir une posture de clinicien du travail, dans laquelle la parole du salarié est inscrite, et dont il est le pivot, permet de s’adresser plus facilement à un autre clinicien, qui est le généraliste.

Cette question de la place du patient salarié au centre de la coopération va probablement faire l’objet de débats.
Il est essentiel, en clinique médicale du travail, que le salarié-patient, pour sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve et pouvoir aller mieux, puisse élaborer sa pensée propre sur ce qui lui arrive dans sa santé, aux côtés de la pensée en travail des cliniciens. Comment l’aider ?

L’intitulé même du colloque : « La question du travail au cœur de la coopération », montre que c’est d’abord l’entrée par la question du travail qui est choisie. Nous suggérons de « prendre le travail comme grille de lecture » : mais comment interroger le travail, ou plus exactement, le « travailler » du patient ou du salarié, chacun selon son propre exercice comme généraliste, médecin ou infirmière du travail ? Le « travailler » renseigne sur la tâche, mais surtout sur l’activité, c’est à dire sur les ressorts de son engagement dans le travail. En prenant le travail comme grille de lecture il est possible de débrouiller une histoire de travail plus ou moins compliquée dans laquelle la santé est affectée. C’est à la fois le « travailler » du patient et le nôtre qui s’y trouvent impliqués. Comment explorer le « travailler » ? Prenons par exemple, la survenue d’une dépression au début, dont on peut penser qu’elle a pour origine le travail. Le patient ou le salarié se trouve généralement en difficulté pour penser ce qui lui arrive au travail: il est invité à en faire le récit, parfois il est interrompu avec un questionnement sur ce qu’il dit quand le clinicien ne le comprend pas. Le patient salarié se remet dans l’action de son « travailler ». Il se « voit » travailler. Il ne fait pas que raconter, il élabore une pensée qui explore son « travailler » et construit sa propre compréhension. Dans le « travailler », les enjeux du travail apparaissent également comme enjeux pour sa santé : les mobiles de l’engagement subjectif dans le travail, l’engagement du corps, ses traces et atteintes, les émotions. Ce qui compte est la compréhension qu’acquiert le patient vis-à-vis de la situation qu’il expose. S’aider à faire le lien entre santé et travail, permet de soutenir une élaboration lorsqu’elle est en difficulté de la part du salarié. Faire ce lien est possible de la part de chaque professionnel. Et le faire est une contribution thérapeutique.

Ce travail clinique de soutien à l’élaboration par un récit est fondamental car il ouvre des issues favorables à la santé et il peut être mené en médecine générale (comme le montre l’intervention de Marie KAYSER et Martine LALANDE) et en médecine du travail.
Entre généralistes, médecins et infirmières du travail, s’aider à comprendre ce qui se joue dans le travail vis-à-vis de la santé du « patient-salarié » afin de soutenir sa santé, est donc un enjeu important de la coopération entre professionnels, dont dépend la qualité de l’aide clinique proposée.

La place de l’écrit n’est pas la même selon généraliste et équipe médicale de santé au travail, ainsi que le montre notamment la présentation de Nathalie PENNEQUIN. Le médecin du travail ou l’infirmière tente de recueillir et construire par la clinique médicale du travail ce qui va former un récit de la part du salarié patient. Que ce récit fasse l’objet d’un écrit ou pas, son étayage apparaît comme particulièrement important dans son travail d’élaboration (le sien et celui du clinicien).
Quelles sont les règles professionnelles pour cela, existantes ou à créer ? L’une traverse toutes les présentations : le patient doit être le « fil rouge » de l’échange, est-il indiqué dans une contribution.

Un élément important est la confiance que ce patient salarié place, ou non, dans ses relations avec l’équipe médicale, qu’elle soit généraliste ou du travail. Elle en est même la condition. La question de la confiance du salarié patient dans ses deux interlocuteurs médecins sera posée et explorée dans une contribution de médecins du travail (Marie PARENT et Anne GAVOILLE) au travers de la restitution d’une dispute professionnelle lors d’une de leurs séances de GAPEP. Croiser les regards entre professionnels, voire les confronter en posant alors les termes d’une dispute professionnelle au sujet du patient salarié et à son seul bénéfice, relève de la délibération médicale et d’un exercice médical de qualité.
Telles sont une parties des questions que le colloque voudrait mettre en débat.


I° Partie - Pratiques cliniques en médecine générale et Expériences de groupes de pairs médecin du travail et infirmier en santé au travail en clinique médicale du travail

1- COMMUNICATIONS

1° Communication –

Réflexions à partir de trois cas cliniques de médecine générale sur les conditions de coopération entre médecin généraliste et médecin du travail

Marie Françoise HUEZ-ROBERT médecin généraliste, Société Française de Documentation et de Recherche en Médecine générale, SFDRMG -UNAFORMEC

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Introduction
La présentation de trois situations cliniques et sociales vécues avec un statut de médecin généraliste voudrait permettre de poser des questions sur des coopérations souhaitées, mais difficiles à réaliser entre médecin généraliste et médecin du travail, tous les deux médecins de premier recours. La pratique quotidienne en médecine générale s’articule autour la demande du patient, l’analyse clinique du médecin, le contexte socio environnemental et la décision du patient. Le Médecin généraliste remplit des missions de diagnostic, de soins, de prévention et d’ouverture des droits sociaux pour les usagers , dans le respect de la législation.

Premier Cas : Une situation de préparation à la reprise après un arrêt de travail prolongé en maladie professionnelle d’une salariée.

Le temps clinique et social avec le MG
Une ouvrière de 50ans vient consulter pour des violentes douleurs de l’épaule D nuit et jour, rendant impossible certains mouvements du bras, avec blocage de certaines amplitudes. Elle décrit qu’elle effectue des gestes répétées avec le bras droit et le bras gauche pour monter des objets reçus en pièces détachées, puis les conditionner dans des cartons, ceci depuis plus de 20 ans. L’examen clinique montre une pathologie de la coiffe des rotateurs. Ses antécédents HTA traité par IEC
-Taches immédiates : examen clinique, annonce de l’hypothèse diagnostique :TMS de l’épaule, prescription un traitement antalgique, d’un arrêt de travail et d’une échographie de l’épaule.
-Taches au fil des consultations :
- accompagner la patiente dans sa démarche de déclaration de MP
- gérer sa douleur sans escalade des médicaments
- éviter qu’elle choisisse des thérapeutiques agressives
- prescrire les arrêts de travail sur des temps longs mais pas trop pour avoir des contacts avec elle et voir l’évolution de la douleur.
Au bout de plus de 4mois d’’évolution de sa PSH, nous avons décidé ensemble qu’elle demanderait la reprise de travail avant la guérison complète avec une demande de changement de poste temporaire préparée par une visite de pré reprise auprès de son médecin du travail avec une lettre de ma part .

La rencontre du salarié avec le médecin du travail
Après sa visite de pré-reprise elle me dit « Le médecin du travail va soumettre la demande de changement de poste à la direction, et il me reverra dans 15j pour me donner la réponse et qu’il faut que je vous demande une prolongation ». Elle ne me transmet pas de courrier.
Quinze jours plus tard elle revient consulter pour m’annoncer que le changement de poste n’était pas possible. Par ailleurs elle souffrait dès qu’elle faisait des gestes répétés (ménage, rangement) et estimait que la reprise à temps plein à son poste habituel était impossible. C’est pourquoi elle me demandait de la prolonger d’un mois comme lui avait conseillé le médecin du travail en lui disant : « revenez quand vous serez apte à votre poste de travail. »
Ensuite elle a repris son ancien poste sans faire de rechute de PSH ou une autre TMS. « Je me protège, mon patron est cool avec moi » m’a-t-elle dit.

Deuxième cas : Une situation de licenciement pour inaptitude après un arrêt de travail prolongé en accident de travail d’un salarié d’une entreprise de travaux publics.

Le temps clinique et social avec le MG
Ce patient, conducteur d’engin de travaux publics, est venu consulter pour la survenue brutale d’une lombosciatique L5-S1, hyperalgique, survenue après quelques journées de travail dans une équipe sur un chantier au sol avec port de charges lourdes, parce que son engin habituel n’avait pas d’affectation sur un chantier. Il a accepté de déclarer sa pathologie en accident du travail avec un arrêt de travail. Ce patient venait me voir deux fois l’an pour les prescriptions de contrôles biologiques de son hémochromatose et de saignées. Pas d’autre antécédent notable. Il était fier de son travail et de son engagement syndical. Mais il n’en parlait pas.
Malheureusement la douleur lombosciatique a augmenté rapidement avec paraparésie des releveurs , et au bout de 4 à 6 semaines, malgré des antalgiques morphiniques il devenait impératif pour le patient de demander une IRM et de voir un chirurgien qui pose le diagnostic de hernie discale et décide de l’opérer environ 2,5 mois après le début de la douleur. Les suites opératoires se passent bien sauf du côté de la douleur qui est toujours très intense et qui sera seulement un peu soulagée à la pose d’une sonde rachidienne pour neurostimulation médullaire.

La rencontre du salarié avec le médecin du travail avec une lettre du MG
Au bout plus un an d’arrêt de travail en accident de travail, il accepte d’envisager sa reprise avec une demande de changement de poste. Il lui est difficile d’obtenir un RDV de visite de pré-reprise avec un délai raisonnable auprès du secrétariat du service médical de son entreprise.
Il transmet mon courrier expliquant l’évolution de sa pathologie et de ses incapacités au médecin du travail qui lui dit de retourner me voir pour un arrêt de travail car il ne peut le changer de poste pour le moment. Il ne me transmet pas de courrier.
Par ailleurs il reçoit une convocation du Médecin Conseil qui accepte les prolongations d’arrêt de travail en accident du travail sans limitation temporelle. Mais il avait rencontré auparavant l’assistante sociale de la CARSAT chargée des arrêts de travail de longue durée.
Le patient qui est délégué syndical me dit qu’il pourrait travailler à un poste dans les bureaux ou à la pesée des camions. A ce stade le patient est actif à la maison et se déplace à l’extérieur avec utilisation de la stimulation à la demande associée à la baisse des antalgiques.
Après plusieurs semaines d’attente, et plusieurs rendez-vous reportés, il est convoqué par le médecin du travail qui dit « qu’il n’a pas obtenu de la direction un changement de poste et qu’il veut lui faire faire un essai de reprise du poste de conducteur de son engin ». S’il ne peut pas occuper ce poste, le médecin du travail lui indique qu’il demandera un licenciement pour inaptitude au poste de travail. De nouveau je n’ai pas de courrier transmis. Je fais le certificat de reprise avec soins. Il revient me voir au bout de 10j de travail avec des douleurs importantes de lombalgie et de sciatalgie. Je déclare une rechute d’accident du travail et la procédure de licenciement par inaptitude au poste de travail sera lancée, sans que le patient me transmette un courrier de ce médecin du travail. Le patient m’a seulement transmis ses deux messages : faire la consolidation de l’accident de travail avec soins, et ne pas faire d’arrêt de travail dans la période des 15J avant la confirmation du licenciement .

Au final :
- le patient était anéanti par la perte de son travail, digne et silencieux.
- le MG était dépitée qu’il n’ait pas pu conserver son emploi malgré son ancienneté. Le patient aurait voulu négocier avec la direction parce qu’il estimait qu’il y avait un emploi possible pour lui dans cette entreprise. Par ailleurs je n’ai pas eu d’hypothèse fournie par le chirurgien ni par le spécialiste de la consultation douleurs sur l’origine de cette sciatique si hyperalgique.

Troisième cas : Une demande d’arrêt de travail d’une salariée pour une situation d’après elle insupportable et épuisante au travail.

Le temps clinique et social avec le MG
Un lundi après-midi une jeune femme d’environ 30ans me consulte pour la première fois pour un état de grande fatigue, des insomnies, une irritabilité vis-à-vis de son bébé et de son compagnon tout cela depuis quelques semaines. A mes questions sur son travail elle me répond qu’elle travaille sur une plateforme téléphonique qui assure le service commercial d’un opérateur téléphonique. Elle veut arrêter de travailler quelques jours car son manager de plateforme la surveille en permanence quand elle répond aux clients : il ne veut pas qu’elle réponde comme elle le fait et lui fait des réflexions acerbes sans cesse. « Je ne supporte pas de ne pas pouvoir répondre aux questions des clients immédiatement quand j’ai la réponse, ni de reconnaître qu’il y a une erreur de facturation quand la personne a une énorme augmentation de sa facture, car mon travail est de noter dans son dossier et transférer sa demande à un autre service qui doit la rappeler. Je sais que je ne fais pas le chiffre des appels de ceux de mon groupe. Il faut que je me calme, je pourrai peut-être y retourner ensuite pour finir mon contrat, le 3eme de 6 mois, ensuite je les quitte. » Elle ne présente pas de symptômes dépressifs, et a exposé son problème de façon calme, mais avec conviction sans accuser son chef de plateforme de tous les maux. Elle n’a jamais rencontré le médecin du travail de ce sous-traitant.
La situation exposée me paraissant très claire du côté du retentissement psychique d’une organisation managériale comportant harcèlement et obligation de mentir au client, j’ai fait une prescription d’arrêt de travail de 7jours, avec une boite de 7cp d’un somnifère . Elle est revenue 7j après me dire qu’elle ne pouvait pas retourner au travail, que son contrat finissait dans 2 semaines et qu’elle ne le renouvelait pas, mais qu’elle allait mieux. Sa demande : un arrêt de travail de deux semaines jusqu’à la fin du contrat, ce que j’ai fait avec comme motif d’arrêt : état d’anxiété généralisé .Je ne l’ai plus revue . Sa plateforme était à 3km de mon cabinet.

Réflexions sur ces cas sur les conditions de coopération autour des situations d’arrêt de travail et de licenciement pour inaptitude au poste

1-Les deux professions sont bloquées dans des rôles pré écrits par le système :
-Le Mg détenteur de bons à tirer pour arrêt de travail, mais dont les arrêts de travail de longue durée sont sous le regard du médecin conseil.
-Le médecin du travail « sélectionneur de main d’œuvre apte à travailler à tous postes » sinon arrêt de travail ou licenciement sous couverture d’une procédure longue entre la médecine du travail et la direction, sans que le salarié puisse se défendre.
Le Médecin doit faire le maximum pour les droits de son patient, c’est dans le code de la santé publique.

2- L’application du principe « le médecin traitant communique au confrère avec l’accord du patient les informations médicales seulement nécessaires à l’objectif de la consultation avec l’accord du patient » est une tâche qui est due au patient, pas toujours facile à réaliser rapidement. Est cela la cause du manque de transmission d’information du médecin généraliste vers le médecin du travail ?

3-Les réponses du médecin du travail uniquement orales au patient sont frustrantes pour le généraliste et source de mauvaise compréhension de son expertise et de ses décisions. Pourquoi certains médecins du travail ne tracent pas l’argumentation de leur avis d’aptitude ?

4-S’il m’a été facile de poser un diagnostic de souffrance au travail pour cette personne qui avait fait elle-même le lien de ses symptômes avec ses conditions de travail, d’autres souffrances sont plus difficiles à identifier au milieu de multiples symptômes physiques ou psychiques, de demandes d’arrêts de travail pour des motifs très banaux, de relations et situations de travail actuelles ou antérieures complexes à comprendre. Cette prescription d’arrêt de travail est une mise à l’abri de la personne dans le secret total de la consultation.
Par ailleurs je n’ai pas demandé à cette personne de voir son médecin du travail car elle ne l’avait jamais vu, et elle avait décidé de quitter cette entreprise, ce qui est très souvent les cas des personnes en CDD .

Suggestions d’information et de coopération médecin généraliste - médecin du travail :

1. En 34 ans de MG aucun de mes patients n’a eu un certificat initial de maladie professionnelle fait par un médecin du travail ou une information argumentée sur cette possibilité. Une information du salarié sur la procédure de la déclaration de sa possible maladie professionnelle avec l’argumentation peut-elle être faite plus systématiquement par le médecin du travail avec transmission au médecin traitant ?

2. L’information du médecin du travail en direction des femmes susceptibles d’être enceintes exposées à une substance foeto-toxique qui est faite pourrait-elle être transmise sous forme d’un document par la femme à son médecin traitant ?

3. La méthode de recherche de signes de souffrance au travail est un sujet qui intéresse certains médecins généralistes. Pouvez-vous transmettre ces connaissances ainsi que vos avis sur la prise en charge (soins primaire ou consultation dédiée) par les moyens de formation de la profession ? 4. La Coopération avec l’équipe de santé au travail : les médecins généralistes ne connaissant pas le cadre de coopération avec les infirmiers de santé au travail , ne pourront pas l’utiliser.

Pour conclure : La coopération entre les équipes médicales du travail et les médecins généralistes est essentielle pour contribuer au maintien de la santé des personnes, à la fois salariés et patients en connaissant les missions et compétences spécifiques de chaque groupe professionnel. La réflexion doit être poursuivie avec les deux professions.


2° Communication

UNE POSTURE D'EQUILIBRISTE ou « Comment un salarié patient impulsif peut interférer, à son corps défendant, dans la relation entre son médecin du travail et son médecin traitant, au détriment de l'équilibre de sa santé »

Marie Parent et Anne Gavoille médecins du travail, GAPEP

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Cette observation étant le fruit d’un travail collectif en GAPEP (Groupe d’Analyse des Pratiques Entre Pairs), nous expliquerons d’abord le mode de fonctionnement spécifique au GAPEP.

Nous sommes 2 médecins du travail de l'AGEMETRA, SST de la métropole Lyonnaise. Notre GAPEP, composé de 8 médecins du travail du service, fonctionne depuis plusieurs années, avec 5 réunions par an au cours desquelles nous réfléchissons autour d'une observation en clinique médicale du travail, préparée par l'un d'entre nous. Le compte rendu est ensuite relu et travaillé par un binôme au sein d'E Pairs.
Le travail suivant a été réalisé sous l’angle de la collaboration médecin généraliste/ médecin du travail.

Il s’agit du cas de Sébastien, 30 ans. C’est un ancien sportif de haut niveau, qui a pour principal antécédent un spondylolisthésis. Après un niveau bac pro en maintenance des systèmes automatisés, il est embauché en 2005 comme agent de fabrication dans une entreprise de traitement thermique des métaux, sous-traitante de la métallurgie.
Pendant plusieurs années, il occupe ce poste en 3X8 et poursuit la gymnastique ; qu’il doit cependant interrompre en 2009 suite à des problèmes de santé.

En février 2015, on lui propose un poste de nuit de 18H à 6H les vendredi, samedi et dimanche. Cela suppose une formation complémentaire. La première année se passe bien.
Lors de la visite périodique d’avril 2016, il présente des troubles de santé : troubles du sommeil et cervicalgies (dans un contexte d’accident de voiture, puis ensuite lors d’un accident du travail, en février 2016, sans arrêts).

Il revient en juillet 2016 à sa demande : il a fait un bilan cardio pulmonaire en raison d’une douleur thoracique et d’une dyspnée ; il se sent isolé et n’a plus de vie sociale. Il a demandé un changement d’horaire à son employeur, qui a refusé. Avec son accord, une demande de changement d’horaire est précisée sur le certificat d’aptitude.
48 H après, Sébastien téléphone au médecin du travail : il lui demande une contre-indication médicale à la peinture du fait des discrètes anomalies retrouvées au scanner thoracique (foyer de condensation paraissant séquellaire) : le médecin refuse cette demande qui ne lui paraît pas justifiée médicalement.
Cet événement interroge le médecin du travail sur la possible recherche d’avantage social de la part du salarié ; la connaissance de l’entreprise peut faire envisager le poste de peinture comme une sanction : la question du conflit entre le salarié et l’employeur, déjà amorcée lors du refus du changement d’horaire, réapparaît, et le médecin du travail s’y trouve engagé, malgré lui. Commence alors un travail « d’équilibriste » pour le médecin du travail, entre salarié, employeur, puis le médecin traitant, dont le fil conducteur devrait être la protection de la santé.

En octobre 2016, Sébastien revient en visite à sa demande, muni d’un courrier du médecin traitant demandant l’arrêt du 2X8 et le passage en poste du matin. En effet, il s’avère qu’il a travaillé très peu de temps en journée, et qu’il est assez rapidement passé en 2X8 ; lorsqu’il travaille le soir, il dort très peu, il est donc fatigué et peine à gérer sa vie familiale. Il est en arrêt de travail depuis le matin même.

La question se pose de savoir si c’est une question médicale ou sociale (à partir de quand l’organisation de la vie personnelle devient-elle une question de santé ?) ; on retrouve une même attitude du salarié demandant ici à ses deux médecins de trouver une solution pour lui.
Le médecin du travail se voit dans une posture de répondre à la prescription du médecin généraliste, accédant ainsi à la demande du salarié ; est-ce possible de ne pas y répondre sans altérer la confiance qu’a le salarié vis-à-vis de son médecin ? En restant confraternel ? Comment entendre la demande en faisant valoir le point de vue du médecin du travail, quitte à modifier la réponse ?
On peut se demander pourquoi le salarié a demandé un courrier à son médecin traitant et un certificat à son médecin du travail.
Quoi qu’il en soit, dans cette histoire, il s’agit d’un moment pivot : celui de l’acceptation par le médecin du travail des conclusions du médecin généraliste. Le certificat de pré reprise est rédigé ainsi, une étude de poste est également demandée par écrit ; il sera toujours le temps d’un réajustement lors de la reprise effective ; commence alors une série d’échanges tendus avec l’employeur.
Dans un deuxième temps, le médecin traitant prescrit un arrêt à temps partiel thérapeutique à partir de fin octobre. L’arrêt est envoyé à l’entreprise. Il n’y a pas d’échange entre les deux praticiens.
En fait, le salarié est prolongé, et la visite de reprise a lieu début novembre : le certificat prend en compte les différentes prescriptions du médecin traitant : temps partiel thérapeutique, et contre-indication au travail de nuit.
L’employeur refuse le mi-temps thérapeutique et demande au médecin du travail « d’en tirer les conséquences sur l’aptitude ».
Il est probable que les prescriptions successives, restrictives et non coordonnées entre les deux médecins sont de nature à fragiliser la posture médicale vis-à-vis de l’employeur, lui laissant plus de pouvoir pour faire pression sur le médecin du travail.
Il est décidé d’attendre l’étude de poste prévue mi-novembre pour envisager les conditions de reprise de Sébastien. L’arrêt de travail va se poursuivre.

Dans ce contexte, un entretien long de clinique médicale du travail a lieu avec Sébastien : il s’agit d’explorer plus finement les enjeux subjectifs du rapport au travail, dans ce contexte de conflit, d’arrêts répétés, d’une attitude apparaissant comme passive de la part de ce salarié. La raison essentielle pourrait être la suivante : Sébastien paraît en difficulté pour penser ce qui ne va pas pour lui au travail : il a donc besoin de construire un positionnement. A défaut, il fait pression sur chacun des médecins pour trouver une solution que lui seul peut apporter.

Un premier échange téléphonique a lieu entre les deux médecins, à l’initiative du médecin du travail : pour le médecin généraliste, il y est question de la personnalité de Sébastien (décrit comme « impulsif »), le travail n’y serait pas du tout évoqué ; le médecin traitant suggère au salarié de s’arranger avec son épouse ; je l’informe que le mi -temps a été refusé et je lui demande si Sébastien « n’en rajouterait pas un peu », dans le but de discerner la part médicale réelle de la demande sociale.
Il apparaît bien surprenant que le travail ne soit pas évoqué par le médecin traitant qui pourtant est dans une attitude de prescription vis-à-vis du travail.
L’élément d’impulsivité (de qui ? médecin ou patient ?) éclaire cette impression de besoin de solution rapide, et d’une possible immaturité chez Sébastien.

Dans un deuxième temps, Sébastien me rapportera les propos de son médecin traitant à l’égard du médecin du travail « il a dit que vous pensez que je suis tire au flanc » !
Que penser de cette non réserve ; ne pas tout dire, pour le bien du patient, n’est-ce pas une règle déontologique implicite ?
L’étude de poste dans l’entreprise est tendue : il est reproché au médecin du travail d’être responsable d’une désorganisation de la production et une demande d’inaptitude est, de nouveau, clairement évoquée. Le médecin du travail rappelle à l’employeur qu’il relève de sa responsabilité de justifier par écrit son refus de temps partiel.
La poursuite des échanges avec le médecin se fait par courrier (envoyé par le médecin du travail), demandant une prolongation des arrêts de travail, ce qui permet à Sébastien de poursuivre les soins (il a eu un nouvel accident de voiture début novembre en rentrant de la crèche), réaliser les examens complémentaires, rencontrer la conseillère du travail pour réfléchir à son devenir professionnel. Ce sens de l’arrêt de travail est explicité par écrit au médecin traitant, avec disponibilité pour un échange téléphonique.
La nécessité médicale de la contre-indication au travail de nuit est répétée, mais la contre- indication au poste de l’après-midi y est présentée comme discutable - après réflexion, rencontre avec l’employeur, vécu des autres salariés travaillant aussi en 2X8.

D’autres visites médicales ont lieu janvier et avril : Sébastien est en soins pour sa cervicalgie, l’IRM a montré une protrusion discale semblant venir au contact de l‘émergence radiculaire en C3 C4.
Il entame un bilan de compétences.
Un nouveau courrier est envoyé au médecin traitant expliquant la nécessité de l’arrêt et prévoyant une inaptitude prévisible du fait de la contre-indication au travail de nuit, mais aussi à la manutention et aux gestes répétitifs des membres supérieurs.
Depuis, les arrêts de travail sont renouvelés, il est demandé à Sébastien d’en expliquer lui-même le sens à son praticien. Il envisage de devenir vendeur.

L’étude détaillée de cette observation en GAPEP a porté sur :

- Les modalités d’échanges entre les deux praticiens : écrit pour garantir la confiance (courrier ouvert pour le salarié), au mieux précoces, ce qui n’a pas été le cas ici, échange téléphonique dans un deuxième temps, mais aussi parole du salarié qui est devenue centrale au fil de cette histoire
- Les champs d’action respectifs et les postures : état de santé global et environnement privé et familial pour le médecin traitant/ état de santé constaté et transmis par le salarié, environnement de travail pour le médecin du travail.
Les obstacles à la coopération relèvent des contraintes de chaque profession : pour le médecin traitant, ce sont les contraintes de l’activité libérale (paiement à l’acte, temps compté), le contrôle par les organismes de sécurité sociale ; pour le médecin du travail : faible capacité d’action corrective sur les conditions de travail mais rôle d’alerte et de soins vis-à-vis du collectif, forte instrumentalisation par le salarié et l’employeur, posture sociale nécessitant un travail de négociation, disponibilité temporelle, pouvoir sur le contrat de travail, retour immédiat suite à l’action car relation médecin du travail, salarié, employeur « captive ».

- La question de la rivalité entre les médecins se pose lorsque chacun fait « intrusion » dans le champ de l’autre (thérapeutique ou préventif) : ici, en prescrivant un aménagement de poste sans questionner le travail, ou lorsque le médecin du travail suggère la réalisation d’examen complémentaire (IRM) ou le recours au spécialiste
- Une controverse est apparue sur la notion d’une collaboration réussie : pour certains, si l’absence de réponse écrite au courrier peut être vécue comme frustrante, pour les autres les demandes de prescription d’arrêt de travail ont été entendues, au bénéfice du patient.

Une collaboration réussie supposerait elle :

- Une posture de curiosité face au métier de l’autre : prescription éclairée, ouverture à l’échange ?
- Un réajustement au fil du temps ?
- La reconnaissance de l’identité commune de médecin dépassant les différences de pratiques, avec pour objectif la santé du patient ?
- Et en permettant au salarié patient de devenir lui-même acteur de sa santé ?

Bibliographie :
Haute Autorité de Santé : « Repérage et prise en charge cliniques du syndrome d’épuisement professionnel ou burn out » (Mars 2017)


3° Communication -

La coopération entre les équipes médicales du travail et la médecine générale : au travers de deux cas clinique vus en GAPEP

Michèle Weber médecin du travail Strasbourg, Gapep

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La coopération entre les équipes médicales du travail et la médecine générale est absolument nécessaire au maintien dans l’emploi des salariés présentant des problèmes de santé. J’ai essayé, au travers de deux cas, de démontrer que cette collaboration harmonieuse, avec l’accord du salarié et dans le respect du Code de Déontologie, permet de maintenir dans l’emploi des salariés atteints de pathologies lourdes qui auraient pu constituer un frein.

Le 1er cas est celui d’un maçon coffreur de 34 ans au moment du diagnostic, 38 ans aujourd’hui, atteint de troubles bipolaires. Au moment de sa reprise d’activité, des restrictions (notamment au travail en hauteur) avaient été émises par le médecin du travail en charge de l’entreprise. Ce n’est que plusieurs mois plus tard que le service sécurité de l’entreprise, s’est préoccupé de ces restrictions et a averti le médecin du travail auquel l’entreprise avait été affectée entretemps pour lui demander une solution en extrême urgence.

Une collaboration active s’est installée dès le départ entre le médecin traitant du salarié, son psychiatre et le médecin du travail, tous persuadés de la nécessité pour le salarié d’un maintien en activité et de l’absence de danger pour lui et ses collègues sous réserve d’un suivi régulier et d’une bonne observance thérapeutique. Ce suivi est aujourd’hui partagé entre les trois médecins, dans le respect des prérogatives de chacun et dans le cadre d’un secret médical partagé. Le salarié poursuit son activité sans problème et son entourage professionnel, un temps inquiet, est aujourd’hui pleinement rassuré et partie prenante du maintien dans l’emploi du collègue

Le 2ème cas est celui d’un patient de 57 ans aujourd’hui, (54 ans au moment où de sa maladie), opéré d’un prolapsus des valves mitrales, manutentionnaire, maintenu dans l’emploi grâce à une collaboration active, impliquant et responsabilisant le salarié, du médecin généraliste, du cardiologue et du médecin du travail. Emaillé de multiples péripéties au départ, le maintien au travail de ce salarié est aujourd’hui réussi. Le médecin traitant était au départ très réticent pour cette reprise et avait formulé une demande d’invalidité, refusée par le médecin conseil, ce qui avait été très mal vécu par le salarié, persuadé d’être victime d’une injustice. Cette décision du médecin conseil semblait cependant légitime, au regard de la bonne récupération fonctionnelle après l’intervention. Soutenu par un cardiologue persuadé du bienfondé de cette décision, le médecin du travail a négocié un aménagement du poste de travail auprès de l’employeur, compatible avec la reprise de l’activité. La survenue d’un malaise d’étiologie finalement non retrouvée (et en tout état de cause non cardiaque), sur les lieux du travail, après seulement 5 jours de reprise, a compliqué l’acceptation par l’employeur, et surtout par les collègues, du retour au travail. Les compétences du médecin du travail, récemment en charge de l’entreprise, ont été ouvertement mises en doute par le collectif ; il n’a bien sûr pas été possible pour ce dernier de se justifier en raison du secret médical et sa réputation dans l’entreprise ne doit aujourd’hui son salut qu’au fait que, 4 années plus tard, le salarié est toujours en activité et en pleine forme !

Après un nouveau bilan réalisé par un cardiologue différent, parvenu aux mêmes conclusions que le premier, il a finalement été possible de réinstaurer une relation de confiance avec le salarié et avec son médecin traitant et d’envisager la reprise de l’activité. C’est très certainement grâce à cette relation de confiance, et à l’apaisement des tensions avec son médecin traitant que le salarié, rassuré à la fois sur son état de santé et sur la compatibilité de son poste de travail avec ce dernier, est parvenu à reprendre son activité.

 


2- Table ronde et débat :

Questions :

1 - Pluralité de situations cliniques nécessitant un travail en coordination. Quelles règles de coopération dans le but d’être utile à la santé du patient ?

2 - Quelle place pour l’analyse du travail et de ses aspects délétères ?

3 - Quelles recherches de synergie des deux filières médecine générale et du travail, avec les autres partenaires de santé, les médecins spécialistes, les consultations de pathologies professionnelles, les médecins conseils et de contrôle ?

  • Présentations de cas cliniques individuels ou collectifs plus ou moins partagés, ou de carence de coopération ? En quoi l’analyse du travail et de l’engagement du travailleur qui s’y déploie et facilite la coopération pour la prévention et les soins.
  • Visite de pré-reprise/ préparation à la reprise après maladie ou accident grave
  • Quelle déclaration en MP et quand, pour des pathologies d’usure professionnelle
  • Arrêt de travail ou non face à un travail délétère qui cherche un appui et un soutien médical lorsque sa capacité de prendre soin de sa santé s’épuise
  • Quelles ressources pour pouvoir établir un certificat médical de MP pour un salarié retraité
  • Urgence psychopathologique du fait ou au travail
  • Quelles coopérations pour le maintien au travail et y construire sa santé


Discussion entre pairs – Dispute/Repères professionnels [1]

Modérateur – Gérard Lucas

MDT : Personne ne connaît le travail du médecin du travail alors j’ai l’habitude d’appeler le médecin traitant devant le patient. Aujourd’hui, j’ai appris que je devais faire plus de courrier au médecin généraliste.

MDT : je suis un médecin du travail sans expérience de médecine générale. Je ressens une frustration par rapport à ma collègue qui a présenté le cas N° 3 car j’ai eu des salariés qui ont fait des bouffées délirantes mais quand j’ai essayé de travailler avec le médecin traitant et le psychiatre sur le rôle du travail dans cette pathologie délirante, je suis passé pour un extraterrestre.

MDT : je me suis questionné dans le cas clinique exposé dans la 2ème intervention quand le salarié a présenté des troubles du sommeil. Auparavant, il travaillait en 3X8 puis de nuit ce qui peut entrainer des troubles du sommeil mais apparemment à ce moment-là, cela n’aurait pas été évoqué avec le médecin du travail. Que s’est-il passé au niveau du travail ? Y a-t-il eu des évènements, en dehors des horaires de travail, dont il n’aurait pas parlé au médecin du travail pouvant être à l’origine de ses troubles du sommeil ? On pourrait peut-être obtenir des renseignements auprès du médecin traitant par l’intermédiaire du salarié.
Dans la 3ème intervention, pour les pathologies cardiaques, il y a souvent le problème de la peur : peur du salarié, peur du collectif de travail, peur de la hiérarchie, peur des médecins. Qu’est ce qui s’est passé au moment du malaise ? Quels sont les éléments qu’on aurait pu apporter au médecin généraliste pour orienter sa prescription ? Il n’y avait pas de compréhension partagée du travail entre les 2 praticiens.

MG : ce serait bien pour le médecin généraliste d’avoir connaissance des fiches de poste. Pour un salarié présentant une pathologie psychiatrique, personnellement je lui dirai de ne pas le dire au médecin du travail. Je donnerai le même conseil pour d’autres pathologies comme la séropositivité au VIH et le diabète afin d’éviter que l’employeur soit au courant.

MDT : cette réflexion est très intéressante puisqu’elle touche la question de la confiance car le médecin du travail n’est pas choisi par le salarié mais il est soumis au secret médical comme tout médecin. Par contre le salarié n’est pas obligé de tout dire au médecin du travail ou à l’équipe médicale. Il va être confronté à la confiance dans l’équipe médicale. En tant que médecin généraliste, vous pouvez vous poser des questions. L’écrit est un des moyens de lever le malentendu et les ambiguïtés.

MDT : par rapport à la confiance et au secret médical, j’ai constaté que dans les collectivités, les agents parlaient beaucoup de leur santé. J’ai instauré le secret médical absolu et conseillé au salarié de ne pas parler de leur santé au travail. La diffusion des informations sur la santé des salariés dans l’entreprise est un problème et peut être nuisible.

MDT : je voulais faire une remarque sur le secret médical : dans les entreprises, il est le plus souvent dévoilé par les salariés et beaucoup moins par les médecins du travail

MDT : salarié d’un gros service de 90 médecins du travail, j’ai accompagné des dizaines de médecins généralistes avec un collègue pour des consultations et des visites d’entreprise, nous n’étions que 2 médecins du travail volontaires pour ce type d’action. Depuis plusieurs années, cela ne se fait plus mais j’ai des échanges avec des jeunes médecins lors des visites de pré reprise. Je note l’importance de la clinique médicale du travail pour apprendre beaucoup d’informations sur les motifs liés au travail qui sont cachés. Pour des pathologies graves, les salariés peuvent être malmenés au travail mais cela peut les aider à se structurer et à faire des demandes. J’ai constaté que pour les personnes qui sont plutôt dans le tertiaire, la maladie grave n’est pas synonyme de peur mais plutôt synonyme de nouvelle vie.
Pour le secret médical, le salarié doit comprendre que c’est son intérêt pour son maintien au travail.

MG : dans la suite et par rapport à la dernière situation clinique, cela pose la place du patient/salarié, de son écoute, de son vécu de la maladie, de son intervention et de son vécu du travail. Qu’est-ce qu’on lui a dit de l’intervention ? Qu’est-ce qu’on lui a dit des suites ? Qu’est-ce qu’on lui a dit de ce qu’il pourrait faire ensuite ? Lui a-t-on dit qu’il risquait quelque chose ? Ce n’est pas une question intellectuelle : tant que le travail n’a pas été fait par tous les praticiens, chacun va être dans ses propres représentations. Et dans ce cas, il n’y a pas de confiance entre les praticiens.

MDT : médecin du travail depuis plus de 30 ans, je suis surprise de la défiance des médecins généralistes envers les médecins du travail. Moi, je reçois des documents médicaux de la direction, qui les a reçus du salarié, alors que le médecin généraliste aurait plutôt du écrire au médecin du travail. Les réponses à mes courriers des médecins traitants sont d’une dizaine en 30 ans de métier. Cette défiance peut aussi être liée au manque de temps. Moi, je suis médecin du travail et salarié de l’employeur : les médecins du travail sont les conseillers de l’employeur et peuvent prescrire des aménagements de poste.

MDT : plusieurs points : la profession a beaucoup à faire : c’est au médecin du travail de faire les déclarations de Maladies Professionnelles (MP). La question des visites de pré reprise peut être un problème si le médecin du travail n’a pas la maitrise de son agenda : dans certains Services de Santé au Travail, il y a des secrétaires indépendantes du médecin qui font les convocations et dans ces cas-là, le salarié ne peut pas avoir de rendez-vous de visite de pré reprise. Il faut que les médecins du travail se battent pour avoir la maitrise de leur agenda. Je pense que l’autonomie du salarié est très importante : il doit pouvoir dire ce qu’il a envie de dire
Le problème de la communication par le salarié est également posé : connaissance de la santé ? Connaissance du travail ? Problème de temps pour la communication entre les deux praticiens ?
Sur la question de la défiance : celle-ci existe : quelle est l’identité professionnelle du médecin du travail ? Le médecin du travail a un métier très prescrit. Il y a aussi la question de la peur du médecin généraliste et de la peur du médecin du travail. E-Pairs prône l’accompagnement du salarié quelle que soit sa pathologie pour construire sa santé. Une contre-indication au travail de nuit en tant que telle n’est pas intéressante mais ce qui est important c’est ce qui sous-tend cette décision.

MDT : il faut accepter les inconnus comme l’absence de réponse au courrier, la non connaissance de toutes les pathologies ou des traitements des salariés mais il faut donner un regard sur le métier. Les demandes du médecin du travail au médecin généraliste, il faut les reformuler comme pour l’ergonomie et voir ce qui relève des prérogatives de chacun. Il faut garder le travail au centre et donner un retour au médecin généraliste sur le travail.

MDT : je suis médecin du travail depuis 20 ans après avoir été médecin généraliste. Je veux reparler des déclarations de MP : pendant ma formation de médecine du travail, les enseignants m’ont déconseillé de les faire car cela me mettrait en position très délicate par rapport au collectif de travail. Je fais une copie de toutes les informations nécessaires sur le travail au médecin généraliste pour que celui-ci fasse la déclaration. D’autre part, les médecins généralistes travaillent plus avec nous dans les cas de souffrance au travail car nous avons la vision de l’entreprise et du collectif.

MDT : on n’a pas à se sentir agressé qu’un salarié transmette des aménagements de poste de la part de son médecin généraliste. La question, c’est pourquoi ce salarié a fait comme ça ? S’agit-il d’un problème de confiance entre le salarié et son médecin du travail ? Cela signifie qu’il y a un gros travail à faire dans les coopérations avec les médecins généralistes. Comment nos coopérations pourront être nourries de l’engagement du salarié quand les médecins du travail connaissent la clinique médicale du travail ? Je pense qu’une étude de poste ne servira à rien pour le médecin généraliste. Ce qui est important c’est que pense le médecin du travail de la situation de travail du salarié.
Quant à la déclaration des MP, il y a des médecins du travail qui déclarent et d’autres qui ne déclarent pas. Les coopérations ne pourront pas se développer si on n’est pas au clair sur leurs pratiques. Le problème : jusqu’où sommes-nous limités pour faciliter la santé au travail des salariés. Il n’y a pas de secret partagé. Tout ce qui a à voir avec le travail, on doit le mettre et on doit dire pour qui on le met.

MIRT : il est important de passer par le salarié pour la transmission des informations pour qu’il ne soit pas infantilisé. Il faut lui donner les moyens de savoir les risques qu’il court. J’ai entendu : les coopérations entre médecins du travail et médecins généralistes s’améliorent peut être grâce à la souffrance au travail. Les médecins du travail sont de moins en moins bien au travail et ils sont peut-être, de ce fait, plus attentifs au travail des salariés. De plus en plus, les médecins du travail ne voient que des gens qui ne vont pas bien et sont plus dans la position des médecins généralistes
La coopération passe par la communication écrite

Collaborateur MDT : j’étais auparavant médecin militaire donc polyvalent. Je suis collaborateur médecin depuis le début de l’année seulement. Le médecin du travail est le plus souvent le dernier informé des MP. Ce sont les pathologies chroniques qui sont les plus embêtantes. Le médecin du travail est le dépositaire de la connaissance du travail, de l’entreprise, et du collectif. Je communique par écrit avec tous mes confrères, je leur téléphone en présence du salarié. Ce qui est important c’est la légitimité par rapport au patient. Avoir la confiance du salarié est le plus important.

MG : dans une des observations, j’ai noté que c’était important de connaître la santé du collectif car cela permet de comprendre la santé du salarié et c’est ce que j’aimerai trouver dans la collaboration avec les médecins du travail. Je fais les déclarations de MP et je pense que tous les médecins doivent faire ces déclarations. La difficulté : je suis remplaçante et j’ai parfois des reproches des collègues que j’ai remplacés car ils me disent que la personne sera moins bien remboursée en MP.

MDT : nous avons des problèmes quand on fait des déclarations de MP dans certaines entreprises

Conclusion : il est important d’instruire la question du travail par le médecin du travail et par le médecin généraliste, le patient étant le fil rouge de la coopération.



II°- Règles professionnelles en médecine générale et Expériences de groupes de pairs médecin du travail et infirmier en santé au travail pour construire des Repères de coopération

3- Communications

4° Communication –

Médecins généralistes et équipes médicales du travail : travailler ensemble pour la santé des patient[e]s

Marie Kayser, Martine Lalande, médecins généralistes

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Nous sommes dans une période de précarisation du travail, avec un nombre important de chômeurs et sommes de plus en plus souvent témoins de souffrance au travail.
Dans un certain nombre d’entreprises il n’y a plus de médecin du travail ; la loi El Khomri a encore espacé les visites systématiques en médecine du travail et les modifications législatives à venir risquent fort de ne pas améliorer la situation.
Une des conditions de la coopération entre équipes médicales du travail et médecins généralistes est que chacun des acteurs connaisse les pratiques de l’autre, ses possibilités d’action et ses difficultés.
Les pratiques des médecins généralistes (MG) et des équipes médicales de travail sont très variables ; nous partirons donc ici des nôtres en essayant de les resituer dans le contexte plus global de la médecine générale.

I. Comment les questions de santé au travail se posent-elles dans nos pratiques ?

A) Petit aperçu d’une matinée de consultation
Sur 10 personnes, la moitié a consulté pour des problèmes directement liés au travail
Deux exemples :

- Mina a 40 ans, a un asthme grave, et un diabète traité par insuline. Elle a travaillé dans un magasin de conditionnement et a été reconnue en Maladie Professionnelle (MP) pour 4 tendinites au niveau des 2 coudes et des 2 poignets. Ces MP ont toutes été consolidées sur injonction de l’Assurance maladie au bout d’un an avec une reconnaissance d’Incapacité Permanente Partielle (IPP) pour 2 d’entre elles à 4%. Les soins post-consolidation ont été refusés. La patiente conteste l’IPP pour une des maladies professionnelles. Elle a été licenciée pour inaptitude. L’Allocation Adulte Handicapé lui a été refusée. La consultation a servi à ranger les papiers de MP avec elle dans 4 dossiers de couleurs différentes et à faire une lettre pour le CATRED (Collectif des Accidentés du Travail, handicapés et Retraités pour l’Égalité des Droits) pour l’aider dans ses démarches.

- Ahmed, 40 ans, est manutentionnaire, a des paresthésies dans le territoire du radial de la main dominante, il manipule des paquets lourds qu'il emballe, le rythme de travail s’accroit chaque année, avec de plus en plus de travail et de moins en moins de personnel. Sa collègue a un cancer, elle n’est pas remplacée. Je lui ai prescrit un Electromyogramme mais je ne sais pas comment déclarer la maladie professionnelle alors qu’il n’y a pas de tableau ?

B) Faire le lien santé –travail et accompagner les patient[e]s.
Les patient-e-s viennent consulter leur médecin généraliste pour toutes sortes de problèmes dans des contextes aigus ou chroniques. Parmi ces problèmes, certains sont en lien avec le travail.
Si ce lien est assez facile à faire dans le cas des Troubles musculo squelettiques (TMS) il est beaucoup plus difficile à faire dans d’autres situations comme les cancers par exemple et dans les souffrances au travail.

Une situation clinique de souffrance au travail
Une patiente me consulte pendant ses congés pour des maux de tête; elle me parle de son fils qui l’inquiète : c’est un jeune adulte qui a une grande fragilité psychologique et des problèmes de consommation de drogues.

Je la revois une première fois après la reprise du travail en septembre. Elle a des troubles du sommeil, se sent fragile, a les larmes aux yeux et me reparle de son fils.
A la consultation suivante elle me dit qu’elle ne va pas mieux et n’arrive plus à faire face au travail. Je lui demande alors de me raconter ce qui se passe au travail : depuis la rentrée il y a eu une réorganisation du service privé de restauration scolaire où elle gère une petite équipe : des machines et des tâches nouvelles, mais pas plus de personnel. Elle a peur de ne pas y arriver et se sent incompétente alors que je l’ai connue toujours bien dans son travail.
Ce n’est qu’à cette étape du suivi que je pense à un facteur de décompensation lié au travail.

La connaissance des patient[e]s et le suivi dans la durée en médecine générale sont un appui précieux mais peuvent en même temps nous égarer comme on le voit dans ce récit.
C’est le repérage et l’analyse des symptômes présentés et la compréhension du déroulé de l’histoire au travail qui m’ont permis et ont permis à ma patiente d’établir progressivement le lien entre les symptômes et les modifications de la situation au travail qui ont été imposées à toute l’équipe avec une place particulière pour elle qui la dirige.
Cette démarche a eu pour cette patiente un rôle thérapeutique car cela lui a permis d’intégrer progressivement qu’elle a été mise en difficulté par la modification de l’organisation du travail alors qu’elle s’était jusque-là toujours sentie compétente au niveau professionnel et que c’est cette souffrance au travail qui est venue décompenser un équilibre, certes déjà fragilisé par ses soucis familiaux. Cela l’a aidée à reprendre petit à petit confiance en elle.

Certifier du lien entre santé et travail ?

C’est cette démarche qui peut permettre au généraliste de certifier du lien entre les symptômes présentés par la patiente et ses conditions de travail alors qu’il ne connaît de l’entreprise que ce que lui en dit la patiente.
Cette question du lien se pose pour le motif médical qui doit être indiqué sur l’arrêt de travail, pour nos courriers au médecin du travail, à la consultation de pathologie professionnelle ou pour les certificats que nous demandent parfois directement les patient-e-s.
Cette question est particulièrement importante car l’écrit pourra être utilisé ensuite par les personnes par rapport à leur employeur pour aller en justice : prudhommes… Et les employeurs portent de plus en plus souvent plainte devant l’Ordre des médecins contre les médecins qui font le lien entre santé et travail, ce qui décourage ceux-ci de poser ce lien.
Nous pourrons ainsi dans un certain nombre de cas certifier de ce lien en notant, sur l’arrêt de travail par exemple : « Souffrance en lien avec une situation de travail ».
D’autres fois notre démarche diagnostic ne nous permet pas de certifier ce lien et la formulation peut alors être « Souffrance décrite par le patient comme en lien avec ses conditions de travail ».
Dans le cas de cette patiente le lien a pu être attesté sur l’arrêt de travail.

L’accompagnement de la personne

L’arrêt de travail est un des outils thérapeutiques dont dispose le généraliste pour accompagner ses patient-e-s. Le médecin généraliste doit cependant être attentif s’il le prolonge à ce que la question du travail et de ses modalités soit posée (sinon l’arrêt risque d’être finalement refusé par le médecin conseil alors que la personne n’est pas en état de reprendre le travail) ; c’est la question du lien avec le médecin du travail à travers la visite de pré-reprise, c’est aussi celle du lien du travailleur avec son collectif de travail et du lien avec le réseau des professionnels, administrations et associations qui peuvent avoir un rôle support.

C) Les difficultés en médecine générale

1) Difficultés du côté des médecins

a) L’insuffisance de formation

Les médecins généralistes ne prennent pas assez en compte l’impact des facteurs environnementaux sur la santé de leurs patients et se sont souvent formés « sur le tas » sur les questions de santé et travail.
Deux items seulement sur les 345 de l’Examen classant national de fin de 6° année sont consacrés à la question santé et travail.
Pendant les trois années de formation en MG, les internes sont un peu plus formés à raisonner selon un modèle biopsychosocial mais ils n’ont pas toujours de formation spécifique sur santé et travail.
Les stages chez le praticien devraient aussi permettre cette formation mais encore faut-il que le praticien soit lui-même formé.
La journée obligatoire à la Caisse primaire d’Assurance maladie les forme sur le côté réglementaire et la rédaction des certificats d’AT, MP mais elle les forme aussi à réduire la durée des arrêts de travail.
Quant à la formation continue, théoriquement obligatoire, les médecins peuvent ne jamais se former sur ce sujet

b) Les modalités d’exercice

Le médecin généraliste est payé à l’acte : toute exploration un peu plus poussée est donc « non rentable ». S’ajoute souvent une surcharge de travail liée aux problèmes de démographie médicale

c) L’attitude de l’Assurance maladie :

les contrôles des arrêts de travail sont de plus en plus restrictifs (avec un nombre de jours indicatifs pour les différentes pathologies), les refus de reconnaissance en maladie professionnelle et des soins post-consolidation augmentent.

2) Difficultés du côté des patient[e]s

Ils et elles ne font pas toujours le lien entre leurs symptômes et le travail et n’osent pas toujours en parler au généraliste (en particulier en cas de souffrance au travail où un sentiment d’incompétence est souvent présent). Parfois ils pensent que cela n’est pas du ressort du généraliste, qu’il ne s’y intéressera pas ou ne pourra les aider.
Certaines fois ils/elles ne veulent pas prendre d’arrêt de travail ou faire une déclaration en AT/MP : peur de passer pour des tire au flanc vis-à-vis des patrons, mais aussi des collègues, refus de surcharger ceux-ci, peur de porter tort à l’employeur ( dans les TPE) mais aussi pressions de ceux-ci, crainte des répercussions dans un contexte d’emploi précaire, complexité des déclarations en MP, problème du paiement des jours d’arrêt qui tardent souvent.
Méconnaissance aussi des droits, isolement surtout dans certains travaux très précarisés, sans compter celles et ceux qui ne sont pas déclarés.


II. Comment travailler entre médecins généralistes et médecins du travail, dans l’intérêt de la personne ?

A. La communication reste assez rare et teintée de méfiance

Les médecins généralistes entrent parfois en contact avec le médecin du travail quand ils pensent que la reprise ne sera pas possible sans un aménagement de poste ou d’organisation ou pour poser la question d’une inaptitude à tous les postes s’il semble que la personne ne pourra plus reprendre le travail. Cela se fait dans le cadre des visites de pré-reprise mais il y a des endroits où il n’y a pas de médecin du travail et parfois cette visite est très difficile à obtenir. On doit alors faire intervenir l’inspection du travail ou les syndicats.
Dans notre expérience, les médecins du travail nous contactent rarement et c’est souvent pour des problèmes somatiques qu’ils ont décelés à des visites systématiques (de plus en plus espacées, et jamais dans certaines professions – les enseignants, les saisonniers , les intérimaires, les stagiaires…-) . Comme l’HTA, ou du sang dans les urines (mais pourquoi font-ils encore des bandelettes urinaires ?) Ou encore pour demander des examens supplémentaires, ce qui peut être vécu par les généralistes comme une surmédicalisation…
La communication se fait par l’intermédiaire du patient, par des courriers souvent succincts, parfois par téléphone. Des deux côtés, les médecins sont difficiles à joindre directement. Les généralistes n’appellent pas les médecins du travail sans l’avis du patient et leur répondent peu (comme avec les spécialistes d’organe).Ils se méfient, ne veulent pas tout leur dire, ils gardent leurs distances jusqu’à ce qu’ils repèrent qu’ils ont besoin du médecin du travail.
Par ailleurs les généralistes ne connaissent pas les attributions des différents membres de l’équipe médicale du travail autres que le médecin du travail.
Et pourtant, il nous semble qu’on s’extasie des deux côtés quand le médecin (MG ou MT) fait son travail, c’est-à-dire qu’il s’occupe de la santé et des droits de son patient/sa patiente.

B. Ce qu’on pourrait faire ensemble

En fait le généraliste et le médecin du travail ont besoin l’un de l’autre pour accompagner la personne car ils sont dans des espaces différents de part et d’autre des « murs » de l’entreprise et chacun a une formation, un cadre et une pratique spécifique. La personne évolue, elle, dans les deux espaces et c’est elle qui est « le fil rouge » de la coopération.

1) Le médecin généraliste a besoin du médecin du travail :

- Pour connaître les risques auxquels sont soumis les patient.es et ainsi être plus vigilant dans la reconnaissance de symptômes ou de pathologies en lien avec le travail

- Parce que c’est le médecin du travail qui peut intervenir au niveau de l’entreprise pour aider à la réintégration de la personne, particulièrement dans le cadre d’arrêt de travail long et/ou quand la reprise ne semble pas pouvoir être envisagée sans un aménagement de poste, une modification de l’organisation du travail, une reprise à temps partiel thérapeutique… C’est aussi avec le MT que peut se poser pour la personne la question d’une inaptitude quand il ne semble pas possible que la personne reprenne son travail même avec des aménagements.

- Parce que les MG ont besoin des connaissances plus approfondies du MT dans l’accompagnement des personnes

• Dans le cadre des déclarations de MP : examens à faire, aide pour les personnes pour remplir les documents sur les gestes de travail.
• Pour envisager ce qui est le plus pertinent pour la personne dans les situations complexes, demande de reconnaissance TH, question d’invalidité et de MP.
- Pour soigner certains patients qui ne voient que le médecin du travail.

2) Ce que les généralistes peuvent apporter au médecin du travail :

- La spécificité du métier de généraliste : un abord du patient dans sa globalité et dans la durée qui peut permettre à travers l’échange entre les professionnels et avec le patient /salarié de mieux comprendre ce qui se joue au travail au niveau de sa santé, comment le problème de santé actuel s’intègre dans son parcours.

- Le fait que le cabinet du généraliste est à la fois un lieu de premier recours et un lieu de suivi au long cours : c’est là que peuvent être repérées et /ou parlées pour la première fois les atteintes à la santé liée au travail, le généraliste, en développant une « clinique médicale du travail » peut attester du lien santé –travail. Il fait les certificats initiaux de déclaration d’AT ou de MP et assure aussi leur suivi (y compris les demandes de soins post- consolidation).

- les MG font les arrêts de travail

- Ils peuvent travailler en réseau avec d’autres spécialistes médicaux, sociaux ou associatifs

3) Quelles sont les conditions de cette coopération entre médecin généraliste et équipe médicale du travail ?

- Pour que cela fonctionne, il faut développer la confiance et l’indépendance :
La confiance est d’abord celle de la personne dans chacun des deux professionnels et celle des professionnels entre eux. L’indépendance des professionnels est une condition indispensable de cette confiance.
Il faut remettre en cause les pressions faites par les employeurs ou par l’Assurance maladie. Le MT est théoriquement indépendant mais il est salarié de l’employeur ou de la société inter-entreprises et il est souvent sous pression (et quid des infirmiers du travail dont le statut ne comporte pas cette indépendance). Le MG est théoriquement indépendant de l’Assurance maladie mais lui aussi sous une pression qui va en augmentant (par exemple pour la réduction des arrêts maladie ou la fin des soins en AT ou MP) et l’actuelle rémunération à la performance est une remise en cause de son indépendance.

- Chaque professionnel doit avoir conscience qu’il doit travailler dans l’intérêt de la personne au travail (et dans sa vie) uniquement, dans le respect de son rythme et du secret qui lui est dû. Il doit communiquer à bon escient, toujours avec l’accord de la personne, en sa présence de préférence ou par son intermédiaire (courriers) et respecter le secret professionnel qui implique de ne partager entre médecins que ce qui est utile pour la prise en charge de la personne.

- Chaque professionnel doit avoir l’idée qu’il/elle peut former l’autre en l’informant de ce qui est important pour la personne au travail, avec l’accord de celle-ci, sur des questions techniques comme sur les aspects psychologiques et sociaux qui influent sur les problèmes de santé.

Même si MG et MT communiquent mieux, si les MG se forment mieux, et que les MT les éclairent sur les possibilités d’aménager le travail pour aller dans le sens d’une préservation de la santé des travailleur, - la loi El Khomri ne va pas leur donner plus de moyens pour le faire - , cela ne suffit pas.

Si l’on veut faire de la prévention et que les différents soignant.es soient efficaces pour défendre au mieux la santé au travail, il faudrait :

- Du côté des médecins du travail : fournir au travailleur dès l’embauche des fiches techniques pour leurs médecins traitants précisant les risques du poste de travail ; et informer les travailleurs de leurs droits et des démarches à faire dès l’apparition d’un problème (trop de personnes ne déclarent pas leurs AT et MP)

- Du côté des médecins généralistes : interroger le parcours professionnel des patient.es, les inciter à parler régulièrement de leurs conditions de travail, travailler en réseau avec les médecins du travail, l’inspection du travail et les syndicats

- Ensemble : organiser des formations à la fac et en formation continue sur la santé au travail. Mettre en place des groupes de pairs interprofessionnels avec études de cas, faire des séminaires thématiques en commun, partager les connaissances et les savoir-faire. Par exemple sur les addictions et travail, sur les cancers professionnels, sur la clinique médicale du travail, sur l’attestation du lien entre santé et travail…

- Travailler avec les syndicats sur les risques pour la santé dans l’entreprise pour leur fournir des armes pour rétablir l'équilibre dans les rapports de force avec les employeurs.

Pour développer un véritable travail de santé publique, il faudrait que MG et MT contribuent à l’élaboration de cartographies des risques environnementaux et liés au travail dans les bassins de vie, comme dans l’expérience de Port de Bou.

Conclusion
La communication entre les médecins généralistes et les médecins du travail passe par les patient.es. Ce sont eux qui sollicitent l’un ou l’autre et les mettent en relation. En décidant en toute liberté ce qu’ils/elles veulent partager avec chaque soignant.e. C’est en leur direction qu’il faut créer des outils d’information et de défense pour qu’ils/elles puissent reprendre à leur compte pour défendre leur droit de gagner leur vie et participer à la société sans perdre leur santé.

Questions :

MDT : très souvent les salariés donnent les certificats de restriction faits par le médecin généraliste à leur direction et non au médecin ce qui peut leur porter préjudice.

MG : on ne fait pas de certificats pour les donner à l’employeur car ce n’est pas notre rôle. C’est pourquoi, il est très important d’échanger avec le médecin du travail

MDT : le médecin généraliste, peut-il faire le lien avec la souffrance au travail ? Ce n’est pas possible pour le Conseil de l’Ordre.

MDT : en Espagne les médecins généralistes doivent connaître les risques professionnels et non professionnels.

MDT : dans ma collectivité, il n’y a pas eu de médecin de prévention pendant longtemps et les certificats des médecins traitants n’étaient pas pris en compte. C’est dommage quand il y a carence de médecin du travail que la parole du médecin généraliste ne soit pas prise en compte car c’est le salarié qui en pâtit.

MG : la difficulté c’est que le médecin généraliste connait bien le patient mais ne connait pas le poste de travail. Le médecin du travail connaît mieux le travail et moins bien la santé du salarié. Mais je n’ai pas entendu la question des enjeux des salariés : enjeux financiers, enjeux d’égo, enjeux d’avenir

Collaborateur MDT : on a parlé des pistes : ce sont les cellules PDP, cellules pour la Prévention de la Désinsertion Professionnelle, dans lesquelles il y a un débat pluridisciplinaire sur des cas chroniques. Ces cellules sont composées d’un médecin conseil, d’un technicien de prévention et d’assistantes sociales de la CPAM, d’un représentant de l’AGEFIPH et des services de santé au travail.


5° Communication -

A propos d’un exemple de collaboration entre équipe pluridisciplinaire et médecin traitant, réflexion sur le développement possible de ce type d’approche

Jean-Luc JULINET médecin du travail, Yann FENIOU infirmier du travail, Poitou Charentes, GAPEM

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12 diapos

Cas clinique :

Monsieur T est né en 1964. Il possède un CAP Pâtissier – Chocolatier – Confiseur ainsi qu’un CAP et BEP de cuisinier. Il a travaillé comme pâtissier pendant dix ans chez le même employeur avant d’intégrer la fonction publique territoriale en 2001. Il exerce au sein du service Restauration Collective. Celui-ci assure, par le biais de ses cuisines centrales, les repas pour l’ensemble des établissements scolaires de la collectivité, les deux restaurants du personnel mais aussi les crèches et foyers-logements pour personnes âgées de cette même collectivité. Monsieur T. y effectue tout d’abord des contrats de remplacements au sein de différents sites, puis est nommé en cuisine centrale et, en janvier 2010, suite à préconisations médicales, il est affecté au restaurant du personnel de la collectivité.
Il existe un accord tacite entre le directeur de la restauration collective et Mr T. qui entérine que ce dernier est susceptible de remplacer ponctuellement le responsable du restaurant, pour une période n’excédant pas plus de 2 jours ouvrés. Les différents niveaux hiérarchiques sont informés de cet accord.

Le 9 février 2015, Mr T. est reçu à sa demande au centre de médecine professionnelle et préventive. Il paraît anxieux, fatigué, et déclare au médecin (comme précédemment à l’infirmier) qu’il présente un mauvais vécu professionnel lié au relationnel avec son responsable direct. Il se dit « très angoissé, ne mange plus, ne dort plus ». Il dit être dans cet état depuis la proposition de son responsable de le nommer comme adjoint, ce qu’il ne souhaite pas car cela implique d’avoir des contacts physiques (réception des commandes) et téléphoniques avec le personnel des cuisines centrales, ce qu’il ne peut supporter. Il évoque sans s’étendre « des actes de barbarie » subis lors de sa précédente affectation.
Le médecin de prévention oriente Monsieur T. vers son médecin traitant et rédige un courrier à son attention. Ce dernier répond dans la semaine qui suit, confirmant que l’état psychologique de Mr T, en lien avec un passé professionnel douloureux, reste encore fragile et qu’il paraît inopportun de confier des responsabilités à Mr T. Le médecin généraliste est le médecin traitant de Mr T. depuis plus de 20 ans.

Le 4 juin 2015, Mr T. revient en consultation à sa demande. Il est reçu par l’infirmier santé travail, en l’absence du médecin de prévention, en congés maternité. Il dénonce l’existence de dysfonctionnements dans l’organisation du travail, dans le domaine de l’hygiène et dans le management. Il explique qu’il « n’en peut plus des conditions de travail et de la mise sous pression par son N+1 ». Il rappelle qu’il ne veut pas le poste de second que lui propose son supérieur, qu’il ne veut pas remplacer son responsable durant les congés d’été de ce dernier. Il paraît énervé, se répète souvent dans ses explications. Il craint que l’accord conclu avec sa direction pour des remplacements sur des périodes n’excédant pas 2 jours ne soit pas respecté.

Le 10 juin 2015, Mr T quitte son poste à l’issue de son entretien annuel d’évaluation, sans assurer le service, tant il est bouleversé par la teneur des échanges qu’il vient d’avoir avec son responsable. Il contacte la médecine préventive. L’infirmier ne contacte pas directement le médecin traitant mais invite Mr T. à aller le voir pour prise en charge et régularisation de sa situation (arrêt de travail). Il lui fixe un rendez-vous en urgence différé pour un entretien le 12 juin. Mr T. est mis en congé de maladie par son médecin traitant du 10 au 15 juin, veille de ses congés annuels. En l’absence de médecin de prévention, l’adresse au médecin traitant est alors le seul outil pouvant être activé pour retirer le salarié de son poste.

Le 24 juin 2015, l’infirmier en santé travail est reçu à sa demande et avec l’accord de l’agent, par le directeur du service afin de clarifier le fonctionnement du restaurant du personnel durant le mois d’août. Le directeur reconnaît l’accord tacite passé entre la direction de service et Mr T. de remplacer le responsable par un cuisinier de l’autre restaurant dès lors que l’absence du dit responsable dépasse les 2 jours ouvrés consécutifs, et assure qu’il en sera bien ainsi durant les congés d’été.
Des échanges informels font état d’un bon climat de travail durant l’été 2015.

Le 1° février 2016, Mr T. est victime d’un accident du travail (brûlure avec l’huile de la friteuse). Le médecin traitant prend en charge le traitement et rédige un certificat médical initial d’accident du travail avec arrêt de travail jusqu’au 8 février pour brûlure avant-bras droit. Cet arrêt sera suivi d’une prolongation pour état anxieux jusqu’au 29 février 2016.
L’infirmier en santé travail reçoit Mr T les 03, 08 et 10 février. Celui-ci décrit une nouvelle dégradation de ses conditions de travail, notamment dans le cadre des relations avec son encadrant, sur fond de désaccord sur les prévisions de congés, les règles d’hygiène, la gestion des stocks et des péremptions des produits, l’organisation du travail. Il est très inquiet, dit avoir peur de retourner au travail n’en n’ayant ni la force physique, ni psychologique. Il accepte le principe d’une alerte sur sa situation et de manière plus globale sur la situation du restaurant.
Le jour même l’infirmier rédige une alerte écrite vers le directeur de la restauration collective, la DRH de la collectivité et l’ACFI (Agent Chargé de la Fonction d’Inspection).
Une enquête est demandée par la DRH de la collectivité, et elle est confiée à l’ACFI, qui rencontre les agents au restaurant les 7 et 9 mars. L’ACFI transmet ses comptes rendus de visite à la DRH.
Mr T. est reçu en suivi par l’infirmier en santé travail le 7 mars et le 28 avril.

Le 15 juin 2016, un nouveau médecin du travail est embauché.
Le 20 juillet 2016, Mr T. est reçu à sa demande par le nouveau médecin de prévention. Celui-ci connaît cet agent pour avoir déjà exercé la médecine du travail dans cette collectivité entre 2000 et 2011. Monsieur T. présente une histoire douloureuse dans cette direction. Le médecin de prévention l’a accompagné il y a dix ans à l’occasion de suspicion de violences à son encontre de la part de certains de ses collègues de l’époque. Il y a eu dépôt de plaintes mais l’affaire a été classée sans suite [Violences physiques prescrites, verbales non poursuivies].
Mr T. est en souffrance psychique. Il présente une anxiété forte, des idées noires, quelques pensées suicidaires non scénarisées.
Il se définit comme un professionnel sérieux et autonome et se sent mis à mal du fait :

- D’un déficit d’organisation du travail de l’équipe l’empêchant de trouver vraiment sa place. Son responsable ne prépare pas la journée, ne définit pas ses attentes, mais par contre intervient fréquemment pour donner des ordres et des conseils, au détriment du professionnalisme de Monsieur T.
- D’un manque de rigueur de son responsable dans la gestion des commandes et des aliments, occasionnant beaucoup de gaspillage de produits jetés à la poubelle, mais également un non-respect des dates de péremption.
- D’une dynamique d’équipe d’où il se sent exclu. Il craint que ses collègues cherchent à le faire partir.

Le médecin du travail le reçoit les 20 juillet, 06 octobre, 07 novembre 2016, 11 janvier et 21 mars 2017.
Il recevra également les autres membres de l’équipe à leurs demandes.
Le médecin reprend cette problématique avec l’infirmier de santé au travail qui a suivi cet agent et réalisé une première alerte le 10 février 2016 sans avoir de retour officiel. Ils leurs semblent que les responsables hiérarchiques sont très absents dans le règlement de cette situation.
Le médecin et l’infirmier Santé Travail conviennent :

- D’une visite de poste du restaurant : le 08 septembre.
- De rencontrer le responsable des restaurants (n+2 de Monsieur T.) le 29 septembre 2016. Cette rencontre permet de prendre conscience d’un désaccord au sein de la chaine hiérarchique (n+2 et son directeur) sur la manière de comprendre la situation et de s’y impliquer.

Le médecin du travail adresse Monsieur T. à son médecin traitant, avec un courrier, le 06 octobre 2016 pour souligner son inquiétude quant à l’état de santé de l’agent, faire part des questions qui se posent autour du contexte de travail. Monsieur T. bénéficie alors d’un arrêt de travail. Dans un second temps, le médecin du travail prendra contact par téléphone avec le médecin traitant pour évoquer avec lui la reprise. Les 2 médecins conviennent que le médecin du travail accompagnera la reprise d’une préconisation formalisant une restriction à la fonction de responsable adjoint de cuisine (consultation de reprise du 07 novembre 2016). Le médecin traitant considère que cela sera très sécurisant pour son patient, ce qui n’apparaissait pas à ce moment, si évident que cela.

Il est décidé d’une nouvelle « alerte » du fait :

- D’une situation de travail difficile pour l’ensemble des agents de l’équipe, qui interpellent leur encadrement et le service de santé au travail.
- De tensions fortes au sein de l’équipe, beaucoup de critiques échangées quant à la manière de faire son travail, mais aucune attaque personnelle.
- Que Monsieur T. est en difficulté de santé et pourrait à terme ne plus pouvoir rester sur son poste de travail, de plus le médecin craint que l’employeur interroge l’aptitude aux fonctions.

La collectivité décide alors de faire intervenir rapidement une consultante externe, de formation plutôt Rh, qui réalisera des entretiens avec chacun, responsables inclus. Elle émettra des propositions autour de la clarification des métiers et du cadre d’action de chacun, encadrement compris. Elle soulignera principalement la nécessité d’un accompagnement méthodologique au travail de l’encadrement.

La proposition du médecin généraliste a effectivement porté ses fruits en entrainant un apaisement du salarié. Son médecin traitant qui le connait très bien avait mieux appréhendé que le médecin du travail, le potentiel de cette préconisation. Par contre l’équipe santé travail qui connaissait le contexte et les conditions de travail pouvait mesurer que cette préconisation ne permettrait pas de tourner cette page et qu’elle devait être accompagnée d’autre chose.

Présentation de la discussion au sein du GAPEM

Nous avons choisi ce cas clinique puisqu’il rend compte d’une situation :

- Où l’infirmier et le médecin ont eu chacun à intervenir au sein de la collectivité et à adresser l’agent / patient vers son médecin généraliste.
- Où le médecin de prévention et le médecin traitant ont eu l’opportunité de croiser leur compréhension de la situation de santé de monsieur T. à l’occasion d’un échange téléphonique.
- Où il a été possible d’articuler une prescription individuelle travaillée avec le médecin généraliste (contre indiquer la mission d’adjoint au responsable de cuisine) avec l’alerte pour prendre en compte la situation de l’équipe dans son ensemble.

A travers cet exemple, nous avons échangé, au sein du GAPEM, sur nos pratiques de collaboration au sein de l’équipe médecin infirmier-e d’une part ainsi qu’entre les membres de l’équipe et les médecins traitants des salariés que nous suivons d’autre part. Nous présentons ici les échanges et questionnements concernant la collaboration entre l’équipe pluridisciplinaire et le médecin généraliste :

Nous avons débattu de l’intérêt de cette collaboration du point de vue de l’équipe santé travail de ce que nous en attendions et de ses modalités pratiques possibles. « Qu’est-ce qu’on attend de la collaboration médecin du travail / médecin traitant ». « À quel moment l’équipe Santé Travail a-t-elle besoin du médecin traitant »

Nous avons terminé provisoirement notre échange en nous demandant également :

- si les médecins traitants avaient des attentes vis-à-vis des équipes santé travail et alors qu’elles étaient-elles,
- quelle représentation les médecins généralistes ont de la médecine du travail, de la place des infirmier-eres au sein de l’équipe santé travail et quelle légitimité, crédibilité accordent-ils aux Infirmiers de Santé au Travail ?

Les participants au GAPEM se sont donc interrogés, à partir de leurs expériences, sur leurs attentes envers les médecins généralistes, les modalités possibles de cet échange et les freins existants.

Pour l’équipe santé travail, la finalité d’une mise en relation avec le médecin traitant du salarié relève de plusieurs champs possibles. Par exemple :
La découverte d’un souci de santé nouveau, à l’occasion d’un examen de dépistage, sans pour autant qu’il y ait de lien ou d’incidence avec le poste de travail occupé justifie d’orienter la personne vers son médecin traitant.
Le besoin d’un arrêt de maladie protecteur de la santé du salarié dans le cadre d’une inadéquation entre son état de santé et son poste de travail et permettant de se donner le temps de réévaluer le traitement, visiter le poste et proposer si besoin des aménagements. Selon l’importance de ce qui peut être préconisé, il est alors possible d’informer, conseiller, le salarié et son médecin dans des démarches particulières pouvant faciliter la mise en œuvre d’une adaptation de ses conditions de travail (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, reconnaissance en Maladie Professionnelle, invalidité ….).
Le lien avec le médecin traitant peut permettre également d’expliciter les contraintes du poste de travail, la problématique santé / travail et présenter les perspectives dégagées avec le salarié. Ce dernier peut ainsi poursuivre sa réflexion par lui-même et avec son médecin traitant, alimenter sa capacité d’agir et lorsque cet échange prend la forme d’un écrit, celui-ci peut servir de trace et de support à ce travail.

Les modalités de mise en œuvre d’un contact avec le médecin traitant diffèrent selon les situations, le moment, les pratiques personnelles mais également le métier (infirmier-e ou médecin).
Il peut être conseillé au salarié de consulter son médecin généraliste (comme dans le cas clinique où l’infirmier a mobilisé cette ressource à plusieurs reprises).
L’équipe santé travail utilise également des moyens plus directs comme l’appel téléphonique où la rédaction d’un courrier. L’accord préalable du salarié est considéré comme nécessaire. Son périmètre exact est discuté.
L’écrit remis au médecin traitant par l’intermédiaire du salarié permet à celui-ci de le relire et de décider de le donner ou non. Le courrier envoyé au médecin et en copie à l’agent permet également de partager l’information transmise.

L’appel téléphonique questionne la place de chacun, salarié / patient, infirmier-e, médecin.
Qui peut appeler, seulement le médecin ou indifféremment le médecin et l’infirmier-e, ou l’un ou l’autre selon les situations et les échanges recherchés ?
A quel moment appeler ? En présence du salarié pour qu’il soit partie prenante de l’échange ? Au moment du staff de l’équipe afin d’expliciter aux médecins traitant cette modalité nouvelle d’exercice en santé au travail et de légitimer ainsi l’infirmier-e comme un intervenant à part entière de l’équipe santé travail ?

Dans la pratique des participants au GAPEM, il apparait que les échanges avec les médecins généralistes sont dépeints comme le plus souvent limités, c’est-à-dire souvent informatifs, pour prise en charge d’une situation de santé, avec peu de retour. Il n’est pas très fréquent qu’un travail pluridisciplinaire ou de collaboration s’engage incluant le médecin traitant (cela arrive, peut parfois se développer).

Le GAPEM s’est interrogé sur les freins qui pouvaient faire obstacle à cette approche.

Des questions pratiques ont été soulevées, c’est-à-dire de disponibilité de chacun, d’opportunité, mais aussi du choix du bon moment comme discuté ci-dessus.
Nous avons questionné aussi la perception que chacun pouvait se faire du travail de l’autre, d’une possible méconnaissance de nos métiers respectifs, de nos proximités (travailler dans l’intérêt de la santé, le respect du secret médical, …) et de nos approches spécifiques (quelle clinique chacun de nous est-il amené à déployer et quelle articulation possible).
Mais également quelle place et quelle légitimité les médecins généralistes accordent ils aux infirmiers-es de santé au travail ?
Enfin quelles sont leurs attentes vis-à-vis des équipes santé travail ? Pouvons-nous y répondre ? Qu’avons-nous à construire ensemble ?


Questions :

MG : en ce qui concerne les arrêts de travail, les agents donnent leurs arrêts à l’employeur ce qui pose problème pour le secret médical.

MDT : il ne faut pas marquer le diagnostic sur l’arrêt maladie pour la fonction publique

MDT : pour les demandes de Congés Longue Maladie dans la fonction publique territoriale, il faut joindre, à cette demande, le certificat médical du médecin généraliste. Dans ma collectivité, quand il n’y avait pas de médecin du travail, le service RH faisait une copie du certificat médical : il y avait donc rupture du secret médical. Mais à mon arrivée, j’ai mis en place une procédure pour préserver le secret médical : c’est le médecin du travail qui fait les copies. Par contre, je ne peux pas garantir la préservation du secret médical quand ces courriers arrivent au Comité Médical.

MDT : au Comité Médical, le secrétaire est un médecin.

MG : quel est le rôle de chacun dans l’équipe médicale de santé au travail ? Y a-t-il indépendance dans l ‘équipe ? Quelles sont les responsabilités ?


6° Communication -

Coopération entre médecin du travail et médecin généraliste traitant dans le parcours de soin d’un salarié patient présentant un état de stress aigu suite à une agression au travail

Nathalie Pennequin, médecin du travail, GAPEP

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Monographie clinique :

Monsieur B. né en 1977 à Paris, est embauché dans une entreprise de transport terrestre de voyageurs en 2000 comme chauffeur de Bus (à 23 ans).
Sa formation initiale est un BEP d’horticulteur.
Son Cursus Laboris comprend une courte expérience comme agent de sécurité dans l’entreprise de transport en tant que sous-traitant. Il choisit le métier de chauffeur de bus par opportunité, sur les conseils de collègues.
Ses antécédents médicaux se réduisent à des fractures (poignets et orteils) à l’adolescence sans séquelles ; il est fumeur avec une consommation initiale de 5 à 10 cigarettes par jour.

Son parcours professionnel dans l’entreprise est plutôt stable : il travaille dans le même centre Bus avec la même activité ; chauffeur de bus « hors lignes » du même centre Bus depuis l’embauche : activité sur lignes différentes avec horaires de travail décalés (services de 6h30 de conduite par jour avec des créneaux situés entre 5h à 2h du matin) et repos décalés (2 ou 3 jours de repos consécutifs après des semaines de travail de 5 à 6 jours d’affilée).
Choix d’un roulement sur une ligne chargée de centre-ville de 2002 à 2006 puis à nouveau revenu à une activité « hors lignes » depuis 2007 avec des services majoritairement en soirées.
La conduite se fait du sur matériel Bus commençant à vieillir mais bénéficiant d’une bonne maintenance .

Dans le dossier médical du travail ( papier) :
Surveillance en visites périodiques annuelles de 2000 à 2012 avec le même médecin du travail
-De 2000 à 2005 : bonne adaptation à l’activité, rares lombalgies, pas d’arrêt de travail, entretien musculaire personnel, 1 agression avec crachat par clientèle (non déclaré en accident du travail en 2005)
- en 2006 : verbatim « au travail, s’interroge, pour l’instant ça va »
- A partir de 2007 : 1 mois d’arrêt de travail pour lumbago (haltérophilie+ conduite) : orientation vers consultation médecin du sport (n’y est pas allé…)
Au travail, « ça se passe bien »
- 2008 : difficultés pour les services matinaux, pratique sportive poursuivie ; on comprend que le salarié ne demande pas d’aménagement d’horaires car veut probablement garder ses marges de manœuvre pour changer ses services lui-même ( échanges entre chauffeurs et/ou avec celui qui programme les services ).
- 2009 : lombalgies sans arrêt de travail, « en moyenne, au travail ça va »
2010 : problèmes de sommeil, services de matin difficiles, sport intensif (3h/j) en salle et prise de protéines
- 2011 et 2012 : fait des services en soirée (18h/ 2h) car « moins de stress », sommeil tardif de 5h à 12h et fatigue matinale, TMS (troubles musculo squelettiques) en rapport avec le sport (haltérophilie) , l’exposition aux vibrations corps entier ( conduite de bus) , la position assise prolongée, les contraintes temporelles de conduite induites par la régulation des lignes .
Une Biologie en 2010 et 2012 (prescrite par le médecin du travail) montre une microcytose sans anémie (trait thalassémique probable) et un HDL cholestérol bas ( facteurs de risque cardiovasculaires : tabac HDL bas)

Visite de reprise après arrêt de travail (maladie) le 23/04/2014 :

1 mois d’arrêt de travail pour lumbago aigu ; a rapporté compte rendu de scanner du rachis lombaire qui révèle une hernie discale L3L4 non exclue, non migrée et sous ligamentaire médiane avec discopathie L5S1 ; une mobilité à un poste plus adapté est conseillée par le médecin du travail; fiche d’aptitude = apte .

Visite Périodique 30/10/2014 :
« Ne supporte plus les gens » , fait des services en soirée et des heures supplémentaires au prix d’une privation de sommeil , le tabac est augmenté à 15 cig/j, la pratique de sport s’intensifie « pour se calmer » .Vit en couple avec une fille de 3 ans, fait des travaux das une future résidence secondaire à la campagne ; vit toujours en logement en ville proche du centre bus , lui permettant éventuellement de rentrer chez lui au milieu des services en deux fois ou de faire du sport (moins de 30 mn de temps de trajet domicile travail).
Fiche d’aptitude :Apte à revoir dans 06 mois (questionnement du médecin sur le risque d’épuisement professionnel)

24/05/2015 : revu à la demande du médecin du travail :
Nouveau médecin de secteur (Dr N.P. ) suite à nouvelle sectorisation du service de santé au travail : parle d’un AVP moto en novembre 2014 et signale des lombalgies basses sans sciatalgie (notion de manutention de charges lourdes dans sa jeunesse.) .Il fait du temps supplémentaire au travail : je l’informe sur le risque de la conduite prolongée sur son rachis (exposition aux vibrations corps entier).Conduite sur du matériel ancien mais bien entretenu et pour partie sur du matériel neuf (meilleurs sièges)
fiche d’aptitude : Apte

Périodique le 06/06/2016 (Surveillance Médicale Renforcée à deux ans)
Démotivation depuis l’emménagement dans le nouveau centre : la configuration des lieux ne permet plus les rencontres entre collègues avec le service des ressources humaines et l’encadrement : l’ancien centre Bus a été refait à neuf avec activité pendant les 6 ans de travaux en centre provisoire qui préservait une certaine convivialité ; signale des modification dans l’organisation du travail : les temps de parcours sont difficiles, des pressions de la régulation centralisée par téléphone ( mise en place en 2014) aggravent le stress ; il a voulu faire un métier de développement pour passer agent de maitrise et prendre en charge la prévention/sécurité du centre mais son N+1 n’a pas transmis sa demande. Signale un épisode de Névralgie Cervico Brachiale droite sans arrêt de travail. Le Tabac est toujours à 15 cig/j ; poursuite la musculation et du cardio-training.
Fiche d’aptitude : Apte à revoir dans 06 mois

Visite à la demande du médecin le 23/01/2017 ( M.B a 39 ans) :
cette visite était et elle est également décidée suite à déclaration d’accident du travail (le médecin du travail reçoit par mail les déclarations d’AT) : il s’agit d’une agression au volant du bus le 9 janvier 2017 avec insultes et crachat par une voyageuse mécontente du refus de la laisser descendre entre deux arrêts lors d’une déviation malgré information en amont par le salarié de la déviation ; M.B est descendu de son bus pour rattraper la voyageuse agressive , celle-ci a fait une chute sur le trottoir ; M.B est accompagné par l’encadrement au commissariat pour dépôt de plainte ; 1 jour d’arrêt de travail puis 3 jours de repos et reprise de la conduite du bus au bout de 4 jours (pas de passage aux UMJ qui de toutes façons ne délivrent pas d’ITT en l’absence de blessures physiques) ; M.B n’a pas contacté le psychologue (numéro vert de l’entreprise donné par l’employeur à titre systématique après agression) et n’a pas de nouvelles de la plainte , ne sait si l’agresseur a déposé plainte en retour et s‘il se fera sanctionner … « je suis écœuré par les incivilités des voyageurs et le fait que le chauffeur de bus ne puisse pas se défendre » la colère semble difficile à contenir, on sent M.B prêt à craquer même s’il est très peu loquace…M.B n’est pas en état de travailler : je l’ informe de la nécessité de faire un break en arrêt de travail au titre de l’accident du travail, dans un but de protection (risque de dérapage) et de soins. Je passe beaucoup de temps à argumenter ma décision auprès du salarié, cristallisé sur son vécu d’injustice , afin de lui redonner le pouvoir de penser et d’agir sur sa santé.
Je l’adresse au médecin traitant pour arrêt de travail et prise en charge médicale : le salarié ne conteste pas ma décision lors de la consultation.

Le courrier ouvert remis en main propre au salarié pour le MT (lecture du courrier) :
« Mon cher confrère, je vous adresse votre patient : son état psychique suite à l’agression au travail du 09/01/17 n’est pas compatible avec la poursuite du travail ; je vous remercie de l’arrêter au titre d’accident du travail AT et de le prendre en charge pour soins ; il ne souhaite pas consulter le psychologue pris en charge par l’entreprise ; je le reverrai à la reprise du travail. Bien confraternellement Dr .P. »
Quand je rédige un courrier à un médecin (généraliste ou spécialiste), je décris habituellement les activités du salarié et mentionne ce qui pourrait faire lien entre santé et travail (éléments de compréhension pour le MT qui ne connaît pas le travail) . Je ne l’ai pas suffisamment fait dans ce cas mais le lien entre un état psychique dégradé et une agression au travail me semblait suffisamment évident …j’avais déployé beaucoup d’énergie à convaincre le patient du bien-fondé de ma décision : mesure de protection pour le salarié risquant de déraper au travail …

Revu le 6 février 2017
Après 15 jours d’arrêt de travail (au titre de l’AT) : pas de réponse du médecin traitant MT à mon courrier, aucun document médical (ordonnance, cerfa de reprise du travail) : il me dit avoir pris des « anxiolytiques » le soir et avoir fait du sport …je sens une ambivalence du salarié par rapport à la reprise de la conduite du bus ; j’informe le salarié que la reprise du travail est prématurée en raison d’un état anxiodepressif réactionnel cliniquement décelable. Je le rassure sur ses primes de conduite qu’il ne doit pas perdre car son arrêt relève d’un accident du travail. Je suppose que le MT a lu mon courrier du 31/01 puisqu’il a délivré un arrêt de travail en AT à son patient ( il y a donc eu une coopération informelle ).
Pas de fiche d’aptitude à revoir le lendemain avec documents

Revu le 7 février :
Le salarié rapporte une ordonnance (datée du 23/01/17) pour 1 mois d’antidépresseur sérotoninergique et un cerfa AT/.MP précisant « dépression-stress » datant du 31 janvier 2017 (arrêt jusqu’au 5/02/17 sans date de reprise). je fais remarquer au salarié que son MT parle de dépression et que je partage le diagnostic d’une altération de son état psychique , que la reprise de la conduite du bus (contact clientèle) n’est pas indiquée pour le moment car le mettrait en danger …
Je pense que le médecin traitant n’était pas favorable à la reprise du travail et qu’il souhaitait le revoir régulièrement pour réévaluer le traitement et en discuter avec le salarié.

Le Médecin Traitant a donc vu le salarié deux fois : le 23/01 puis le 31/01 et n’a pas indiqué de date de reprise du travail. Le 6 février, le salarié aurait dû revoir son MT et non pas venir en visite de reprise au SST. Cela arrive souvent que le patient ne revoit pas son MT à la fin d’un arrêt de travail au titre de l’accident du travail : l’employeur devrait exiger le certificat médical CMP ou CMF avec date de reprise libellée.
J’explique au salarié que sa colère, encore perceptible , e mettrait en danger en cas de confrontation à une nouvelle incivilité dans le bus avec le risque patent de sanction par la direction du centre en cas de réponse à agression : la consigne prescrite aux chauffeurs en cas d’agression est de rester dans le bus à l’arrêt en prévenant les voyageurs de l’arrêt du service, de relever la vitre anti agression, de prévenir la régulation en actionnant l’alarme discrète et d’attendre la police et les agents de sécurité. Toute réponse aux agressions verbales ou physiques peut faire l’objet d’une sanction surtout si le voyageur porte plainte en retour (ce qui n’est pas rare). M.B est révolté par l’injustice de la situation qui ne permet pas au chauffeur agressé de se défendre.
Pas de fiche d’aptitude : reprise du travail ce jour non possible, à revoir avec le cerfa mentionnant date de reprise par le MT

Deuxième courrier remis au salarié pour son MT :
« Mon cher confrère, je revois ce jour votre patient qui est traité par antidépresseur pour syndrome dépressif depuis 15 jours ; il me rapporte un cerfa de prolongation sans date de reprise ; je vous l’adresse pour une éventuelle reprise en sachant que la conduite de bus est prématurée ; je demanderai à ce qu’il ne soit pas affecté à la conduite de façon temporaire. Confraternellement »

Revu le 10 février 2017 :
Le salarié parle davantage, le délai entre les visites successives lui a laissé le temps de réfléchir, il n’a pas montré d’agressivité à mon égard alors que je lui ai mis des bâtons dans les roues
Cerfa (prolongation) du 7/02 avec reprise le 10/02/2017 mentionne « dépression post traumatique »
Pas de réponse du médecin traitant à mon courrier mais ce dernier a suivi mes préconisations.
M.B est d’accord avec le constat qu’il n’est pas en état de reprendre la conduite de bus, ; je reparle de l’intérêt de consulter un psychologue pour l’aider à surmonter ce vécu d’injustice : il me lâche dans la conversation que quand il était à la DASS (information personnelle complétement inconnue ), on l’a orienté vers un psychologue (mal vécu) et que cela n’a rien donné. Jusqu’à présent, il parlait peu et essayait de contenir sa colère car voulait reprendre la conduite…je sens que la confiance commence à s’établir entre lui et le médecin du travail.

Conclusion sur l’aptitude de la visite de reprise après AT : je demande un poste aménagé : travail de bureau avec horaires réguliers en après-midi (il a l’habitude de travailler en soirées donc horaires qui se rapprochent le plus, il n’y a pas de travail de bureau en soirées) ; pas de conduite ni de contact clientèle et je demande à le revoir à 1 mois. Au total,
J’ai vu le salarié à 6 reprises depuis 2015 ; la confiance entre le salarié et le médecin du travail qu’il n’a pas choisi commence à s’établir depuis 2017 : le salarié s’ouvre davantage, ce qui permet au médecin du travail de le conseiller sur ce qui peut altérer sa santé, le met en danger avec plus d’efficacité…
Une relation épistolaire équilibrée entre le médecin du travail et le médecin traitant via le salarié aurait pu faciliter la prise de conscience du salarié de la nécessité de faire un break : ici le salarié a peut-être fait barrage (histoire personnelle, volonté de reprendre la conduite coute que coute pour raison financière) : il a fallu que je le revois à trois reprises les 6 , 7 et 10 février pour concrétiser la reprise du travail , le salarié n’a pas montré d’impatience ni d’agressivité à mon égard et ce délai lui a permis de s’approprier la situation de reprise du travail en dehors de la conduite du Bus.

Les seuls écrits du MT qui m’ont permis de piocher quelques indices sont : les constatations détaillées dans la rubrique renseignements médicaux du cerfa MT (dépression puis dépression post traumatique) et l’ordonnance médicamenteuse. Ces écrits m’ont permis de rebondir sur la clinique et d’en discuter avec le patient.
Le salarié ne m’a jamais proposé de contacter par téléphone son MT : s’il l’avait fait, j’aurais éventuellement pu téléphoner en présence du salarié dans le cabinet médical ; je n’ai pas voulu être intrusive avec ce patient en état d’épuisement professionnel et dont le parcours professionnel révèle qu’il a toujours voulu garder le contrôle sur son travail, son pouvoir d’agir.
Il a eu peu d’absentéisme et a fait beaucoup d’heures supplémentaires. Je ne m’autorise pas à téléphoner au médecin traitant (j’avais le numéro de téléphone sur le cerfa) sans que le salarié me le demande ; le médecin traitant aurait pu me téléphoner (mon numéro ne figure pas sur mes courriers mais si le salarié m’avait demandé, je lui aurais donné…)

Visite à la demande du médecin du travail le 14 mars 2017
M.B est souriant et détendu : « docteur, vous aviez raison pour la reprise du travail, je me sens mieux, il faut que je fasse autre chose » ; son sommeil est meilleur, il se sent plus détendu depuis qu’il ne conduit plus les bus ; la première semaine fut difficile du fait de la configuration du nouveau centre bus (absence totale de convivialité) et d’une certaine sous occupation , ce qui l’a amené à demander un RDV avec la DRH qui lui a proposé d’aller dans un autre centre ; il a accepté d’aider à un travail administratif de confiance un collègue ancien chauffeur de bus , les horaires 12h19h30 ont été respectés ; M.B a donc trouvé, seul, les ressorts pour se sortir d’une situation professionnelle non satisfaisante sans faire appel à moi en visite demande salarié comme d’autres auraient pu faire (son pouvoir d’agir est préservé en partie malgré l’inaptitude à la conduite) .Il a stoppé le psychotrope au bout de 6 semaines sans revoir son médecin traitant : il me l’apprend en ayant peur que je sois mécontente : sans lui avouer que je ne suis pas persuadée qu’un antidépresseur ait été indispensable ( il s’agissait plutôt d’un état de stress aigu avec intolérance au métier selon moi), je lui dis que c’est surtout le retrait de la situation stressante de la conduite qui a été thérapeutique .Il me demande à être affecté à l’activité sur voiture de secteur (activité en binôme avec un agent de maitrise , conduite VL et déplacements sur le terrain pour résolution de situations problématiques des chauffeurs, horaires en soirées ) activité qu’il a déjà faite auparavant sur proposition de son responsable et qui lui avait beaucoup plu. Il se sent capable d’être à nouveau confronté à la clientèle surtout en présence de collègues. Son état psychique étant bien meilleur, j’accède à sa demande et retire la restriction du contact clientèle et le revois dans 02 mois (RDV prévu le 15 mai 2017). La question de son avenir professionnel dans l’entreprise reste entière

Axes de discussion en Gapep pour controverses et repères
Le médecin du travail n’a-t-il pas été trop directif (refus de donner une aptitude à la reprise lors de deux tentatives de reprise du salarié, en l’absence de documents médicaux) ? la question de l’aptitude à reprendre le travail sans précisions sur l’évolution de l’état de santé est toujours délicate.
Le médecin du travail aurait-il dû contacter le médecin traitant par téléphone ?
Le problème de la coopération entre médecin traitant et médecin du travail : barrage du salarié, absence de volonté ou manque de temps du médecin traitant à écrire, comment être sûr que le salarié transmet notre courrier à son médecin traitant ? Est-ce un obstacle à la bonne prise en charge du salarié/patient ? Comment établir la confiance entre les deux médecins ?
Quelle prise en charge proposer au salarié ? Psychothérapie, bilan de compétence en vue réorientation professionnelle …

Mots clés : état de stress aigu suite agression au travail, coopération entre médecins, pouvoir d’agir du salarié

Résumé de la discussion en gapep à propos du cas:

-Principaux points sur lesquels elle a porté
La discussion a porté sur les difficultés du suivi par le nouveau médecin du travail de cet agent Machiniste vu à 6 reprises de 2015 à 2017, en questionnant les modalités de coopération médecin traitant de l’agent et médecin du travail.
Ce salarié, investi dans son activité, effectue surtout des services de soirée ; 18h00-02h00 avec réduction de son temps de sommeil, des temps de pause, fait ses heures supplémentaires par choix, investi dans une activité sportive. Les relations avec ses collègues sont bonnes et les échanges satisfaisants.
Il a eu des contraintes de manutention dans ses activités antérieures ; est soumis aux contraintes de vibrations au poste de conduite de bus certes anciens mais bien entretenus.

Se posent les questions :

1) Du risque d’épuisement professionnel :
*d’autant que l’organisation de travail et les relations sociales dans le dépôt changent du fait du déménagement du dépôt de Bus, avec des modalités de régulation différentes, rendant les temps de parcours difficiles.
* Les attentes de montée en compétence à terme, sur un poste d’agent de maitrise, n’ont pas été relayées par sa hiérarchie
*Qu’il est victime d’un AT en janvier 2007 ; avec agression au volant de son bus, (avec dépôt de plainte de l’agent), qui n’a pas effectué initialement de suivi psychologique.

2) Du devenir du salarié à terme ;
Inaptitude définitive à son emploi statutaire, avec proposition de reclassement

  • Ce qui fait controverse entre les pairs dans l'examen des pratiques

Les modalités de relation avec le médecin traitant, et ce que le médecin de travail en attend.

*par téléphone pendant la consultation
Si le médecin du travail choisit de le faire ; la conversation doit se faire

-en présence de l’agent,
-sur sa demande.

Difficile à faire pour la majorité des confrères, en tout cas pas systématiquement ; les médecins sont souvent difficiles à joindre, peu de temps disponible pour le faire.

*Par courrier
Le médecin du travail doit dans son courrier détailler

-l’activité, ses contraintes, l’organisation de travail, les relations sociales, hiérarchiques, l’organisation de travail, les marges de manœuvres des salariés, les possibilités d’aménagement de poste.
-les circonstances de l’accident de travail :

Afin que le médecin traitant puisse instruire la démarche diagnostique, la rédaction du CMI d’AT, l’arrêt de travail, sa durée, l’orientation en suivi psychiatrique, la procédure de demande de reprise à temps partiel thérapeutique.

*La réponse du médecin traitant
-Certains estiment qu’elle est nécessaire, d’autres non (cf consensus.)

  • Ce qui fait repère pour le GAPEP

Dans cette situation, le salarié :

-Relève d’un arrêt de travail (en AT.). Avec la mention sur la fiche d’aptitude : « ne peut continuer ce jour à son poste de travail ; orientation en secteur de soins. ».
Le médecin du travail a rédigé un courrier, reliant la pathologie de stress aigu au travail. (AT.)
Le médecin traitant s’il n’a pas fait de réponse écrite, a en revanche parfaitement suivi les préconisations du médecin du travail ; avec prise en charge thérapeutique adaptée et arrêt en AT avec rédaction d’un CMI.

-Le salarié ne peut assumer le poste de conduite, ni de relation clientèle, d’autant que le métier a changé. Sinon il risque l’épuisement et aussi un « dérapage » en cas d’incivilité de la clientèle. Il doit être mis au repos pour envisager au décours seulement les conditions de la poursuite du métier.

-Le médecin du travail a la mission de convaincre le salarié de la justification de l’arrêt, en lui faisant prendre conscience de cette réalité. Le salarié est ambivalent et craint une baisse de revenu lié à l’arrêt, sans mesurer les risques liés à la poursuite de l’activité.
-Le salarié, ne s’est finalement pas opposé à la démarche du médecin du travail au fur et à mesure du suivi. Il vit difficilement les incivilités de la clientèle, avec le risque de sanction en cas de réponse au voyageur qui peut porter plainte.

-La décision d’orientation vers un spécialiste; concernant ce salarié ?
Le diagnostic de stress aigu est retenu par le médecin du travail ; le médecin traitant ayant fait un diagnostic « vague » de dépression/stress puis dépression/post traumatique sur les CMI et CMP, suite, à l’A.T. L’orientation en psychothérapie n’est pas forcément motivée dans un premier temps, d’autant que le salarié a une expérience négative d’un suivi psychologique dans l’enfance.
Si le médecin du travail l’estime nécessaire ultérieurement et si le médecin traitant n’a pas préconisé d’orientation, l’avis d’un psychiatre sapiteur du SST pourrait être sollicité.

-Il est prématuré de statuer sur les possibilités de reprise du poste.
L’agent a fait preuve dans le passé de maîtrise dans ses choix professionnels. Lui laisser le temps de ré instruire la question de la poursuite de l’activité de machiniste. Le médecin du travail devra discuter ultérieurement des possibilités de reclassement si le salarié n’envisage pas la poursuite de l’activité. L’agent a une formation d’horticulteur, a été employé comme agent de sécurité.

De façon plus générale

1) En l’absence de retour d’information par le médecin traitant :
Le médecin du travail dispose le plus souvent d’informations indirectes sur les suites données par le médecin traitant (ordonnance, CERFA.)
On n’attend d’ailleurs pas forcément de réponse formelle aux courriers mais surtout que le médecin donne suite à nos propositions, en se basant sur l’ensemble de nos informations concernant le travail, pour le suivi du patient.
La date de la reprise doit être idéalement notée par le médecin traitant sur le CMP.
Si celle-ci n’est pas notée, on peut préciser sur la fiche de reprise A.T. ; « sous réserve de la présentation du certificat médical de reprise. »

2) Le médecin du travail n’a jamais l’assurance que ses courriers sont transmis au médecin traitant. Il faut intégrer cette possibilité pour la prise de décision.

3) Parfois le salarié transmet au médecin du travail des certificats limitant par exemple le « port de charge ». La réponse au médecin traitant ne s’impose pas toujours ; en revanche, le médecin du travail qui connaît le poste, statuera avec des termes adaptés à la situation de handicap, et en fonction du travail réel.

4) Le médecin du travail et le médecin traitant doivent pouvoir collaborer dans l’intérêt exclusif du salarié, bien que le médecin traitant soit choisi par le salarié, à la différence du médecin du travail, parfois perçu par le médecin traitant, voire le salarié « comme le médecin du patronat. »
Toutefois le médecin du travail est le seul à pouvoir instruire la question du travail lors d’échanges répétés avec le salarié et recueil de ses avis tracés dans le dossier médical de santé au travail.
La coopération ne peut se construire que si le médecin du travail explicite, si possible par courrier, à son confrère du secteur de soins, ses préoccupations, transmises par le salarié.

La discussion s’inscrit dans les thèmes à l’ordre du jour pour le colloque E-Pairs du 09 juin :

Les thèmes du matin :
A travers des présentations de pratiques cliniques concerneront
Les règles de coopération, dans le but d’être utile au salarié
La place pour l’analyse du travail et ses aspects délétères
La synergie entre les filières de santé
Les carences de coopération à travers des cas collectifs ou individuels.

Les thèmes de l’après midi :
Les ressorts de la coopération
Les blocages de représentation, de méconnaissance du travail des acteurs.
Références éthiques et réglementaires de coopération
Par qui et comment le milieu de travail peut être interpellé.

Questions :

MDT : quels sont les dispositifs de l’entreprise en cas d’agression ?

MDT : il existe un dispositif disciplinaire en cas de non-respect des procédures et il existe un dispositif pour les victimes de traumatisme.

MDT : il y a eu des échanges entre les médecins. Quel a été l’apport de la direction, des syndicats et du CHSCT ?

MDT : il s’agit d’une très grande entreprise de 15000 chauffeurs, il y a un gros CHSCT et il y a souvent des agressions. Le CHSCT ne se réunit qu’en cas d’agressions par arme à feu ou arme blanche. Dans ce cas décrit, il n’y a pas de dispositions particulières.

MDT : y a-t-il eu déclaration d’AT.

MDT : oui car j’ai reçu la déclaration par mail

MDT : qu’a fait le médecin généraliste ?

MDT : le médecin généraliste a fait un arrêt de travail, mis en place un traitement et assuré les soins

MG : l’accident de travail n’a pas été reconnu. Pourquoi ? A cause du mauvais diagnostic ?

MDT : non mais c’est incompréhensible parce que de plus en plus, il n’y a pas de reconnaissance dans les AT provoqués par des agressions psychiques


4- Table ronde et débat

Questions pour le débat :

1 - Quels ressorts pour la coopération entre généralistes et médecins du travail ?

2 - Quels blocages de représentation, de méconnaissance du travail des acteurs du réseau de soins, … y font obstacle ?

3 - Quelle place à l’analyse du travail et des inégalités sociales de santé pour les surmonter ?

4 - Quelle déclinaison et construction des références éthiques et réglementaires de coopération ?

4 - Par qui et comment le milieu de travail peut-il être interpelé ?

  • Comment les questions de santé au travail se posent dans nos pratiques ?
  • Comment se font les contacts entre généralistes et les équipes médicales du travail ?
  • Comment construire la confiance pour coopérer ensemble ?
  • Quelles conditions et modalités d’une coopération dans l’intérêt de la santé des sujets ?

Introduction à la Discussion entre pairs – Dispute/Repères professionnels

Thématiques émergées du présent Colloque, proposées à la discussion pour des Repères de coopération entre médecins généralistes et médecins du travail

Dominique Huez, médecin du travail, modérateur

Nous proposons de lancer la discussion, la dispute professionnelle, pour donner envie de la continuer ailleurs en groupe de pairs, sous des modalités à inventer. Nous aimerions que puisse être donné de la chair, de l’épaisseur à nos pratiques professionnelles pour nourrir de futurs « Repères de coopération » entre nos deux spécialités médicales. Pour déplacer nos représentations, il est nécessaire de se dévoiler professionnellement dans la discussion comme l’ont accepté courageusement les six intervenants. L’ambition de cette dispute professionnelle serait de faire émerger, peut-être ce qui ferait immédiatement consensus, mais aussi et c’est le plus important lors d’un colloque, de nouvelles questions à mettre en travail entre nous pour des coopérations dans l’intérêt de la santé au travail et du fait du travail, de nos patients/salariés.

  • Quelles relations entre la nécessité de la confiance qui est à la base de la relation médicale avec un patient, et une indépendance médicale à préserver dans l’intérêt exclusif de la santé au travail des patients/salariés ?
  • Quelle spécificité du métier de médecin du travail :

    -pour l’analyse du travailler, de l’engagement individuel et collectif des salariés dans leur activité de travail ?
    - pour le « soin préventif », les préconisations médicales de protection, et la prévention médicale collective ?
    - pour l’ouverture des droits médicaux et sociaux selon les obligations déontologiques et du code de la sécurité sociale ?

  • Quelle articulation ou non des « Fiches de poste de travail » avec la clinique médicale du travail ?
  • Quels sont les responsabilités professionnelles respectives au sens des compétences et réglementaire, des différents membres de l’équipe médicale de médecine du travail : infirmier du travail et médecin collaborateur au regard de celles du médecin du travail ?
  • Quelles modalités pour les contacts entre un infirmier du travail et un médecin généraliste, en urgence médicale et hors urgence médicale :

    - concernant une altération ou une atteinte à la santé du fait du travail ?
    - concernant les conséquences du travail sur une pathologie qui n’y trouve pas son origine ?
    - concernant des soins infirmiers sans aucun lien avec le travail ?

  • Si un médecin du travail a une obligation réglementaire d’alerte médicale concernant un risque pour la santé des travailleurs, cela a-t-il des conséquences en termes de pratiques pour les autres membres de l’équipe médicale du travail ?
  • Quel engagement de responsabilité de moyens concrets implique pour le médecin du travail les visites de pré-reprise en termes de priorités ?
  • Est-il possible à un médecin du travail de donner en termes d’analyse collective des risques, une information au médecin généraliste et au patient/salarié, si il ne les a pas donné à l’entreprise ?
  • Un médecin du travail est-il comptable des actions d’un salarié/patient auprès de son employeur quand il s’agit des conséquences de sa santé au travail, s’il communique par exemple directement à son employeur l’avis de son médecin traitant concernant son travail ? Quelle distance professionnelle ou règle d’action en construire pour le médecin du travail ?
  • Du fait de la mission d’ordre public social du médecin du travail, quelles sont ses obligations en termes de préconisations écrites et de suivi de ces préconisations qui passent par des écrits de l’employeur ?
  • Toute communication médicale entre un médecin du travail et un médecin généraliste passe-t-elle par un écrit ? Selon quelles modalités si c’est le cas ?
  • Quel intérêt et conséquences dans ces coopérations d’instruire l’importance du lien santé – travail : lien important, lien direct et essentiel, lien par résonnance de difficultés majeures dans la vie personnelle, etc ?
  • Comment « écrire concrètement » le diagnostic médical d’un lien santé – travail, nourri de l’analyse du récit de l’activité de travail et du travailler, et de l’anamnèse en santé au travail qui y ont été investigués ?
  • Pour exemple une « souffrance professionnelle en lien avec une situation de travail », ou « une souffrance professionnelle décrite par le patient comme en lien avec ses conditions de travail » ?
  • Quelles règles professionnelles permettent de rédiger un Certificat Médical Initial (CMI) pour une maladie professionnelle, permettant à un patient salarié de déclarer une Maladie professionnelle ?
  • Que signifierait concrètement le fait que le patient soit considéré comme « le fil rouge » de la coopération ?

Discussion entre pairs – Dispute/Repères professionnels

Rappel : Il n’y a pas de jugements moraux : la discussion porte sur ses propres pratiques professionnelles

MDT : l’équipe médicale fonctionne sur la base de protocoles écrits et signés avec mon infirmière de santé au travail (IDEST). En cas de dépistage d’une anomalie clinique, comme l’HTA par exemple, elle envoie un écrit au médecin généraliste et laisse sa carte au salarié qui la recontacte souvent. S’il s’agit d’un problème de santé au travail, elle m’adresse le salarié

MDT : je reviens sur la question de la fiche de poste demandé par les médecins généralistes : il y a un autre document, la fiche d’entreprise, obligatoire pour chaque entreprise, mais que je ne peux transmettre qu’à l’employeur. L’employeur a l’obligation de rédiger une fiche de poste pour chaque salarié qui en possède un exemplaire. Je pense que le salarié pourrait donner cette fiche de poste rédigée par son employeur. Cette fiche décrit le travail prescrit. Dans le dossier médical du travail, les risques auxquels est exposé le salarié sont tracés. Je ne suis pas capable de faire une fiche de poste pour tous mes salariés. Je peux transmettre des informations sur les marges de manœuvre et sur les restructurations en cours dans l’entreprise. Sur la question de la rédaction pour une inaptitude, il s’agit d’un processus qui peut être long et qui est fait avec le salarié. Souvent, le salarié vient en disant « on m’a dit que vous deviez me mettre inapte » mais ce n’est pas toujours la meilleure solution pour lui.

MDT : pour l’infirmière, j’ai le même protocole que celui cité ci-dessus pour le dépistage et dès qu’il y a un problème santé travail, elle m’adresse le salarié : le retour se fait vers le médecin du travail qui fait un écrit si nécessaire au médecin traitant.

MDT : quand je diagnostique une pathologie en lien avec le travail, je considère que c’est de ma responsabilité de faire le Certificat Médical Initial (CMI) de MP cela fait partie intégrante de mon métier de médecin du travail. J’engage ma responsabilité et je trouve très important d’assumer la responsabilité de nos obligations de déclaration.

MDT : la parole du médecin quel qu’il soit par rapport au salarié est très importante. Quand le médecin conseil dit « vous devriez être inapte ou en invalidité » après c’est difficile de revenir en arrière.

MDT : on a d’autres outils que le CMI car c’est de la réparation. On écrit noir sur blanc les risques et on peut faire des alertes à l’employeur s’il y a des risques importants : c’est de la prévention.

MDT : au niveau collectif tu as raison et la déclaration de MP peut conduire à la victimisation.

MDT : c’est du cas par cas.

MDT : la déclaration de MP peut aussi aboutir à faire de la prévention. J’ai un gros secteur industriel agro-alimentaire avec un nombre important de TMS. Tant que ces MP n’étaient pas visibles « financièrement », c’était inaudible par la direction malgré mes écrits et les débats en CHSCT. Ce sont mes déclarations de MP qui ont fait prendre conscience des risques et enclencher la prévention. Dans l’entreprise, ce n’est pas un tabou et les salariés ne sont pas victimisés.

MDT : les infirmières font partie de l’équipe médicale et sont sous la responsabilité du médecin du travail car il n’y a pas de disposition réglementaires pour elles. Si un salarié est en situation d’urgence et dans le but de le protéger et de l’isoler de sa situation pathogène, le médecin du travail peut adresser un courrier au médecin généraliste. Dans les courriers, même si c’est le médecin du travail qui écrit, il s’agit souvent d’un travail d’équipe.

IDEST : je travaille avec 2 médecins du travail sur 2 bassins d’emploi. J’ai toute latitude pour adresser des courriers mais pour des problèmes de santé publique.

IDEST : nous n’avons pas de cadre réglementaire auprès des employeurs. Donc on a besoin du médecin du travail. Par contre on a toute légitimité pour les problèmes de santé publique. Le seul moment où on a besoin d’intervenir c’est quand le médecin du travail n’est pas là, on adresse le salarié à son médecin généraliste. Si le médecin du travail est présent, on passe par le staff et le médecin du travail. Il y a peu de visibilité pour les médecins généralistes de l’activité des IDEST car tout passe par le médecin du travail.

MG : il faudrait que les salariés soit informés de leurs risques professionnels. Sur les MP, je trouverai bien que les médecins généralistes soient informés quand des déclarations sont faites.

MDT : la surveillance par les IDEST est en train de changer au vu du changement récent de la législation et de la pénurie de médecins du travail. L’IDEST peut alors faire le lien avec le médecin généraliste

MDT : tout dépend des protocoles qui peuvent laisser plus de marges de manœuvres aux IDEST

IDEST : il y a des sites sur Internet, comme Bossons futé ou le CISME ou la CRAMIF, qui peuvent donner beaucoup d’informations sur les risques professionnels en fonction des métiers aux médecins généralistes.

IDEST : quand on évalue les risques, on le fait à partir des risques théoriques.

MDT : quelles sont les informations que peut transmettre une IDEST ?

MDT : on fait des fiches de poste avec chacun des salariés. Ces fiches sont un outil pour le médecin du travail et l’IDEST. Ce document pourrait être confié au salarié et communiqué au médecin généraliste

IDEST : en l’absence de médecin de prévention dans la collectivité, on avait mis en place un protocole : l’IDEST envoyait l’agent au médecin généraliste avec ses consignes et l’agent revenait avec un certificat de préconisations de son médecin généraliste. Les préconisations étaient alors prises en compte par la collectivité

MDT : je reviens sur la cellule PDP dont on a déjà parlé mais il manque un médecin généraliste à cette cellule où des signalements des arrêts longs sont faits par les assistantes sociales de la CPAM ou les représentants du service de santé au travail dans le but de faire un bilan des situations pour éviter la désinsertion professionnelle.

MDT : je reviens sur le patient/salarié fil rouge de la coopération il est destinataire des informations. Nous avons des obligations et elles passent par des écrits, obligations en termes de prévention. On fait des alertes et l’employeur est destinataire. Le salarié est aussi destinataire de ces informations. C’est au médecin du travail de donner des informations au médecin généraliste, car, par exemple nous connaissons tous la sous-estimation des cancers professionnels.

MG : par rapport à la question de la demande des fiches de poste : si vous faites une alerte, nous serons particulièrement attentifs. Pour les cancers professionnels, je peux mettre plombier ou garagiste, comment puis-je savoir que le cancer est d’origine professionnel ? Si ce n’est pas instruit quelque part comment peut-on améliorer les déclarations ? Pour les femmes jeunes exposées aux produits chimiques foeto toxiques, y a-t-il des informations qui pourraient être transmises à son généraliste ? Il y a souvent des manques dans les dossiers des médecins généralistes portant notamment sur le métier ou le poste de travail.

MDT : une de mes entreprises dispose d’un gros service de recherches où les salariés sont exposés à de nombreux produits chimiques et notamment à des produits à risques Cancérogène, Mutagènes et toxiques pour la Reproduction (CMR). Cette entreprise a mis en place dès 2005 une procédure de fiche individuelle d’exposition aux agents chimiques dangereux (ACD) suite à une action d’information de la SSTPC sur l’exposition aux risques CMR. Cette procédure est toujours appliquée malgré les modifications de la réglementation et a permis notamment en 2016 à l’entreprise de remplir ses obligations dans le cadre de la pénibilité liée à l’exposition aux ACD. Une fiche d’exposition à tous les produits chimiques manipulés avec une remise à jour annuelle est faite par chaque salarié avec son N+1 et le responsable sécurité de l’entreprise. Cette fiche comporte le nom du produit, sa forme, ses phrases de risques, ses conseils de prudence, son pictogramme de danger, les tâches réalisées avec le produit, la quantité manipulée et le temps d’exposition, les valeurs moyennes et limites d’exposition, les équipements de protection individuelles car tous les produits à risques CMR sont utilisées sous hotte aspirante pour produit chimique. Un exemplaire de cette fiche est destiné au médecin du travail, une au service RH archivée dans le dossier personnel du salarié et une au salarié. Cette fiche pourrait être portée à la connaissance du médecin traitant. A chaque visite médicale et plus particulièrement lors de la visite d’embauche pour les salariés jeunes en âge de procréer, je donne une information complète sur ces risques. En cas de grossesse, s’il y a une exposition aux produits toxiques pour la reproduction, je mets en place, si la salariée ne peut pas être reclassée sur un poste sans danger pour sa grossesse, avec la collaboration du médecin traitant, l’arrêt de travail prescrit jusqu’à la date du congé de maternité (Article L. 1225-14 du code du travail).

MDT : moi j’avais un courrier type pour les déclarations de MP à destination des médecins généralistes. Dans les dossiers de surveillance post exposition professionnelle, il y a des obligations de certificat signé par le médecin du travail et l’employeur et j’avais aussi un courrier type pour informer le médecin généraliste

MDT : dans le cas de traçabilité des expositions professionnelles, il y a la question du droit des salariés.

MDT : je travaille dans un établissement de recherche et on fait remplir un questionnaire sur l’exposition aux produits chimiques et ce depuis 20 ans : ce document peut être transmis au médecin généraliste

MDT : en matière de risques chimiques, il n’y a plus beaucoup d’obligations pour les employeurs. C’est au médecin du travail de faire le travail de traçabilité des expositions.

MDT : en matière de RPS, est ce qu’il faut faire des écrits pour tracer ce que l’on dit au médecin généraliste et à l’entreprise ?

MDT : je fais les déclarations de MP avec le CERFA du médecin généraliste et c’est pour ça que j’ai pu alerter les responsables de l’importance du nombre de MP dans leur service : on a alors pu se mettre autour d’une table pour faire avancer la prévention.

MDT : je fais également de l’information aux salariés sur les risques et sur le fait que c’est un problème collectif. Quand il y a une déclaration de MP, je fais le CMI et je les aide tout au long du dossier.

MG : par rapport au CMI et à la déclaration de MP, je ne crois pas à la victimisation. Ce qui est important, c’est ce que l’on peut dire aux gens la vérité comme par exemple qu’ils ne seront peut-être pas pris en charge, notamment pour les MP liées aux RPS. Il faut essayer que l’avenir des gens ne dépendent pas de la reconnaissance surtout dans le cas des souffrances au travail. Qu’on certifie ou pas, c’est surtout sur le type d’accompagnement que l’on fait. Il faut être attentif à ce que l’on dit au salarié.

MDT : le fait qu’un médecin du travail certifie le lien santé travail dans la dégradation de la santé, est important pour la construction de la santé.

Remarques sur le colloque par les médecins généralistes communicants
MK et ML : Il y avait peu de généralistes à ce colloque et c’est dommage. Il faut que l’on arrive à renouveler ce type de débat. Il aurait été intéressant de travailler en petits groupes pour échanger surtout avec ceux qui ne se sont pas exprimés aujourd’hui.
MF H-R : Le SFDRMG va mettre en place un DPC à distance à partir de la recommandation de la HAS sur « le burn out ». Pour elle, il faut utiliser le congrès de la médecine générale et l’on pourrait animer une table ronde sur ce thème. Dans le cadre du collège de la médecine générale, on peut faire une demande et faire parvenir ce compte rendu à toutes les sociétés.


5- Conclusion

Mireille Chevalier, Président de E-Pairs

Je remercie l’ensemble des intervenants qui ont accepté de dévoiler leurs pratiques professionnelles pour servir de support au débat.
Je remercie également l’ensemble des participants, pour son implication dans les discussions.
Je remercie enfin tout particulièrement les médecins généralistes, les intervenants : Marie-Françoise HUEZ-ROBERT, Marie KAYSER et Martine LALANDE, mais aussi tous ceux qui se sont déplacés, et ils ont été au nombre de 7. Leur présence a été indispensable pour enrichir la discussion et nous faire progresser.

ASSOCIATION E PAIRS :

Je tiens ici à rappeler les fondements de notre Association : Association fédérative de groupes de pairs médecins du travail et infirmiers du travail.

Son action est fondée, à partir des données des recherches en santé et travail, sur la recherche et la mise en évidence des liens objectifs et subjectifs avec le travail. Cette mise en lumière se fait notamment par le développement de la clinique médicale du travail (c'est-à-dire par l'investigation du lien santé-travail, dans ses dimensions individuelles et collectives, prenant le travail des personnes comme grille de lecture).

Dans cette recherche de l’équipe médicale du travail, ayant pour but de redonner du sens et des pistes de compréhension pour le salarié en souffrance, nous sommes bien conscients que le médecin généraliste est un partenaire important voire indispensable pour accompagner le salarié patient dans la compréhension de son lien santé travail.

Cela exige que tout le monde soit convaincu des valeurs affichées par E Pairs, à savoir que :

- La mission fondamentale de toute pratique en médecine du travail est de préserver la santé au travail. Les pratiques de sélection n'en relèvent pas.
- Les pratiques professionnelles en médecine du travail exigent à la fois le respect du secret médical et l'information sur la santé au travail aux membres de la communauté de travail.

COLLOQUE :
C’est bien dans cet état d’esprit que nous avons souhaité la réflexion sur la coopération nécessaire des équipes de santé au travail avec les médecins généralistes.
Nous avons sollicité le débat sur de nombreuses interrogations, parmi lesquelles :

- La place de l’analyse du travail
- La place de la clinique médicale du travail pour l’équipe médicale du travail, mais sans doute aussi pour les médecins généralistes
- l’interpellation du milieu du travail
- la coordination des actions et décisions dans l’intérêt du salarié-patient
- Les ressorts ou au contraire les blocages pour la coopération
- La construction de références éthiques, de bonnes pratiques
- La confiance entre le médecin généraliste et les médecins et infirmiers du travail
- L’intérêt de la position centrale du patient dans la relation médicale, pour sa santé évidemment, mais aussi pour les coopérations médicales

Cette confiance entre praticiens généralistes et professionnels de santé au travail passe toujours par le salarié et la confiance que ce dernier mettra dans les différents interlocuteurs.

A la fin de cette journée, nous pouvons constater que toutes les questions présentées par les intervenants n’ont pas été débattues et que certaines ont même surgi des débats, comme :

- Le médecin traitant et l’équipe médicale de santé au travail se préoccupent tous de la santé globale du patient-salarié.
- Si la clinique médicale mérite d’être partagée par les professionnels de santé au travail et les médecins généralistes, il est également important de partager le Vécu du salarié dans le déroulement et la compréhension de sa maladie.
- L’importance de connaître ou mieux connaître le métier de chacun, particulièrement celui de l’infirmier du travail, jusque-là plutôt ignoré des généralistes.

Le débat est resté ouvert sur certaines problématiques, ce qui montre que la réflexion est loin d’être terminée et ouvre à d’autres journées de travail, comme par exemple.

- Les moyens de mettre le salarié au centre des décisions et jusqu’où ?

Ce qui implique de respecter le choix du salarié dument informé et éclairé, de la part de tous les professionnels. Cette information passe par sa connaissance du diagnostic du lien santé-travail et donc des délivrances de certificats de maladie professionnelle par exemple.

- L’importance des écrits entre professionnels :

Qui sont les auteurs de ces écrits ?
Information du médecin généraliste sur les contraintes et risques du travail, selon la vision de l’équipe médicale : fiches de poste, attestations post exposition du médecin du travail ?

- Règles de fonctionnement des équipes médicales de santé au travail pour la coopération avec les médecins traitants (rôle des infirmiers, visibilité donnée aux médecins généralistes…)

Et pourquoi pas l’organisation de séances de confrontations de cas cliniques sur le terrain de proximité entre Généralistes et médecins du travail ?...

Enfin, puisqu’il faut conclure, je voudrais insister sur une notion importante pour nous, et qui sous-tend toute l’action de E Pairs :

- Il s’agit, au-delà des avancées scientifiques, de développer une médecine humaniste dans l’intérêt de la santé du patient, qui doit éclairer dument ce dernier, puis tenter de lui permettre de retrouver un pouvoir d’agir sur sa santé.

- Pour cela il n’y a pas de réponse médicale experte aux difficultés subjectives ou sociales qui mettent dans l’embarras les patients, mais aussi les médecins dans leur pratique.
- Car c’est la réponse propre du patient, sa vérité à un moment donné, qui le mettra à nouveau sur le chemin de la santé.

 

6- PREMIER RETOUR sur le COLLOQUE 2017

E-Pairs

Et maintenant, comment poursuivre ?

Nous indiquions dans l’introduction au colloque sur la question de la coopération entre équipes médicales de généralistes et de santé au travail : être médecin ou infirmier du travail et tenir une posture de clinicien du travail, dans laquelle la parole du salarié est inscrite et dont il est le pivot, permet de s’adresser plus facilement à un autre clinicien, qui est le généraliste.
Cette question de la place du patient salarié au centre de la coopération ferait probablement l’objet de débats, pensions-nous en introduction du colloque. Certains ont bien eu lieu.

En fait même au-delà de la question de la coopération, cette posture qui place le patient salarié au centre devrait imprimer au quotidien les relations entre l’équipe médicale du travail et le patient salarié. Car elle est un repère pour les pratiques en clinique médicale du travail. Le patient doit être le « fil rouge » de l’échange, a-t- il été indiqué dans une contribution. Mais entre l’intention sincèrement proclamée de le faire, et la pratique professionnelle, n’y a t- il pas encore un grand écart ? Les échanges du colloque semblent bien en porter la marque. Pouvons-nous nous interroger sur l’origine de cet écart ?

Le salarié patient fait bien entendu l’objet d’attention et d’un travail, mais dans les pratiques professionnelles il n’est pas au centre, il n’est pas le pivot de l’échange entre lui et le clinicien. Ce que le salarié peut penser de sa santé risque alors d’être tenu pour périphérique, marginalisé de la part du clinicien. Il n’en est que rarement fait mention dans les comptes rendus de séances de GAPEP [2]. Son état de santé reste globalement considéré comme soumis pour l’essentiel, à l’appréciation du médecin. En santé au travail Il y aurait donc un patient face à un sachant, exactement comme un patient qui confierait son asthme au pneumologue, en attendant de lui un traitement. Cependant en médecine du travail, il y a une grande différence par rapport à la médecine de soin. La différence est dans l’importance capitale pour la construction de la santé, ou à l’inverse, pour sa dégradation, de la place du travail (surtout du « travailler ») et de l’élaboration sur les évènements de travail, susceptibles d’affecter les sujets désignés depuis quelques temps sous le terme de « patients salariés ».

Lorsque du côté de l’équipe des médecins du travail et des IST l’approche de la santé au travail est une approche dominante par les risques aux dépens d’une approche par la clinique, l’investigation du travail du point de vue de la subjectivité du salarié-patient peut être quasi absente. En forçant le trait, le salarié fait l’objet d’une représentation dans laquelle il est passif et muet.

Or Il est essentiel, en clinique médicale du travail, que le salarié-patient, pour sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve et pour pouvoir aller mieux, puisse élaborer sa pensée propre sur ce qui lui arrive dans sa santé, aux côtés de la pensée en travail du clinicien. Soutenir l’élaboration du salarié patient : là se situe une part très importante du travail clinique.

Cependant ceci est un positionnement que l’équipe médicale du travail est loin d’adopter couramment. La doxa est tout autre : dans une approche courante à la fois assurantielle et hygiéniste de la médecine du travail qui prévaut encore aujourd’hui, renforcée par la loi et les décrets de 2016, la mission essentielle de l’équipe médicale comme de l’équipe pluridisciplinaire, est de repérer les risques et de leur trouver un contre-feu. Pour cela dans le passé il a été fait appel au médecin du travail. Il reçoit les salariés jusqu’à récemment, annuellement, les examine pour rechercher une atteinte professionnelle, et est en relation avec l’employeur pour le conseiller sur la réduction ou la suppression des risques. Et à présent, c’est le rôle dévolu à l’équipe médicale, cependant que tout un pan de la pathologie professionnelle a disparu dans ses formes aigües et qu’on dispose parfois d’indicateurs infra cliniques. Si on admet que dans cette conception rabougrie de la santé au travail, la porte d’entrée du médecin et de l’équipe dans la santé au travail est une approche par les risques, ces professionnels sont invités, au mieux, à se comporter en tant que témoin actif d’altération ou d’atteinte précoce pour diagnostiquer et éviter les atteintes professionnelles. Et si c’était le cas, ce serait une contribution importante ! Mais la réalité résiste. Et dans cette conception le rôle du médecin du travail et aujourd’hui, de l’équipe médicale, est réduit à la portion congrue par rapport à tout le potentiel dont elle pourrait disposer. Tout conduit à la marginaliser. Et à interroger ses pratiques. Certes, il y a l’examen clinique. Mais où est le travail clinique ?

Or l’équipe médicale peut emprunter une toute autre approche. Y compris les IST qui n’ont pas à traîner le boulet de la détermination de l’aptitude ! Cette approche est nommée clinique médicale du travail. Mais dix années après le congrès national de médecine et santé au travail de Lyon, dont un thème essentiel portait sur sa présentation, il subsiste une certaine confusion sur l’objet de la clinique médicale du travail. Elle peut même passer à la trappe de deux façons. Les uns pensant que la clinique médicale du travail a toujours été leur exercice, avant même qu’elle ait été nommée. D’autres, que c’est une pratique d’exception, car au quotidien, personne ne peut prétendre disposer de temps pour l’exercer[3] .

Ainsi un travail clinique qui vise à permettre au salarié patient d’être acteur de sa santé ne peut prospérer que si la confiance est à la base de la relation médicale avec le sujet. Elle est notamment conditionnée par une pratique médicale déployée dans l’intérêt exclusif de la santé au travail. Alors l’analyse du travailler, de l’engagement individuel et collectif des salariés dans leur activité de travail pourra permettre au médecin « avec » le sujet d’accéder aux clés permettant la préservation ou la reconstruction de la santé. Il y a alors un horizon et un sens pour des « soins préventifs », des préconisations médicales de protection, et la prévention médicale collective. Il y a alors un contenu pour l’ouverture des droits médicaux et sociaux selon les obligations déontologiques et du code de la sécurité sociale. Il y a alors la possibilité de décisions appropriées du fait de la mission d’ordre public social du médecin du travail, quant à ses obligations de préconisations écrites et de suivi de ces préconisations. Et l’instruction du lien santé-travail n’est alors pas limitée à un lien direct et essentiel. On pourra prendre en compte aussi un lien par « résonnance sur la scène du travail », de difficultés majeures dans la vie personnelle.

Alors le travail entre pairs permettra de mieux instruire les mille et une facettes de l’écriture concrète d’un diagnostic médical étiologique d’un lien santé – travail, nourri de l’analyse du récit de l’activité de travail et du travailler, et de l’anamnèse en santé au travail qui y ont été investigués avec la participation active du salarié-patient, dans l’intercompréhension. Cette pratique médicale clinique ouvre la possibilité d’une compréhension étiologique des altérations et atteintes à la santé du fait du travail. Car alors, ce n’est pas seulement la connaissance des mécanismes physiopathologiques qui ouvrirait une issue à la guérison des corps et des esprits, mais la place centrale « active » qui est donnée au « sujet de sa propre santé » pour la construire dans les coopérations avec autrui, en explorant de sa place, des espaces collectifs pour une organisation du travail et des rapports sociaux de travail vers un horizon non subordonné ni aliéné.

Entrer par la clinique médicale du travail en prenant le travail (et pas seulement le risque) pour grille de lecture et investiguer le travail du point de vue de la subjectivité du salarié-patient sont les deux repères importants de cette clinique, pour tenir une posture de clinicien du travail, dans laquelle la parole du salarié est inscrite, mise en travail, et dont il est le pivot.

 

[1] Des questions et de courtes réactions de la salle ont eu lieu après chacune des trois communications du matin, cela pendant cinq minutes. Les débats de fond étaient renvoyés à la discussion globale, après les trois

[2] E-Pairs en dix années d’existence dispose de plusieurs centaines de compte- rendus de cas cliniques

[3] Ce constat est issu à la fois de réflexions de pairs travaillant en GAPEP et d’avis parfois émis lors des formations proposées par E-Pairs.